Ukraine : une nation forcée de rêver (Preview Euro)

À l’image de nombreuses nations telles que l’Irak ou la Palestine, l’Ukraine fait partie de ceux qui participeront à une compétition internationale en temps de guerre. Pour faire oublier les drames que leur peuple peut connaître, vingt-six hommes devront donner plus que ce qu’ils ne peuvent avoir. Un œil sur cette escouade très spéciale.

A l’instar du combat d’Oleksandr Usyk, pour la réunification des cinq ceintures face à Tyson Fury le 18 mai dernier, cet Euro de football disputé par l’Ukraine possède bien plus d’enjeux que celui du pur aspect sportif. Les évènements sportifs comme celui-ci permettent à l’Ukraine de s’échapper de sa torpeur et de son quotidien morose, rythmé par le bruit des bombes et des sirènes aériennes alertant l’arrivée imminente de ces dernières. L’Ukraine vivra cet été son quatrième Euro consécutif et reste sur un superbe exercice lors de l’Euro 2020 (disputé en 2021), en atteignant pour la première fois depuis la Coupe du Monde 2006 un quart de finale de compétition internationale. Malgré les tourments géopolitiques, l’Ukraine a sans doute la plus belle génération de son histoire aux cotés de ses ainés de 2006.

Un évènement inévitablement politique

Bien que certains le nient ou ne souhaitent pas le voir, la politique est indéniablement liée au sport, Exemple parlant, l’Ukraine a choisi de conserver le même maillot que lors du dernier Euro. Au centre, une carte de l’Ukraine affiche fièrement ses frontières de 1991, reconnues par la communauté internationale. Ce maillot avait créé la haine de Moscou, demandant même son exclusion de l’Euro 2020, ou a minima le changement de maillot, en vain. Depuis, c’est bien la Russie qui a été exclue du monde du football et de nombreuses instances internationales suite à son invasion et ses innombrables crimes de guerre, de génocide et ceux contre l’humanité perpétrés contre les ukrainiens.

Hâte de le voir en promo sur KKGol, celui-là. (Crédit photo : MagazineCaviar)

À compter du 24 février 2022, les ukrainiens, aussi bien avec l’équipe nationale qu’en UPL, le championnat local, ne sortent plus sur la pelouse sans un drapeau de l’Ukraine sur le dos. Symbole de leur amour pour leur pays et de l’unité qui les soude derrière un seul et même étendard et une seule et même armoirie, le Tryzub des Riourikides. Qu’ils soient originaires du Donbas et de Donetsk comme Trubin ou Konoplia, de Kyiv comme Zabarnyi, de Lviv comme Yaremchuk ou même de Russie comme Yarmolenko, tous arborent fièrement les couleurs bleues et jaunes. Ils s’engagent à représenter l’Ukraine sous un prisme différent de celui des tragédies décomptant les victimes. Leur objectif est de mettre en lumière une autre facette de la nation.

Des qualifications (presque) convaincantes

L’Ukraine hérite d’un groupe très relevé pour les qualifications, tombant dans le même groupe que l’Italie, championne en titre, et l’Angleterre, finaliste de la dernière édition. L’Angleterre étant par ailleurs le bourreau de l’Ukraine à l’Euro 2020 en quart de finale, durant lequel l’Ukraine aura été baladée et condamnée à s’incliner 4-0 au Stadio Olimpico de Rome, le 3 juillet 2021. Malgré cela, l’Ukraine parvient à ne perdre que deux matchs (2-1 contre Italie à Rome, et 2-0 contre Angleterre à Londres), durant lesquels elle aura fait très bonne figure notamment face à l’Italie. L’Ukraine finira troisième du groupe à égalité de points (14) avec l’Italie, largement devant la Macédoine du Nord (8) et Malte (0). Cette troisième place et surtout ces quatorze points permettront à l’Ukraine de jouer les barrages de Ligue des Nations pour tenter d’atteindre l’Euro, chose que parviendra à faire l’Ukraine non sans mal.

Des barrages aux allures de guet-apens

Si la phase de qualification fut très intéressante et de qualité face à des adversaires bien supérieurs sur le papier, il n’en sera pas de même lors des barrages. L’Ukraine hérite d’abord de la Bosnie-Herzégovine : menés jusqu’à la 85e et au bord de l’élimination, Yaremchuk (85e) puis Dovbyk (88e) empêchent une élimination désastreuse en barrage, comme cela s’était produit pour les barrages de la Coupe du Monde deux ans plus tôt. Puis vint le tour de l’Islande et le même scénario se répète : la Zbirna se retrouve rapidement menée. Tsyhankov (54e) réduit l’écart en début de seconde période. Les jaunes et bleus poussent, mais tout semble amener en prolongation jusqu’à la 84e. Mudryk, patient aux seize mètres, reçoit une passe en retrait de son meilleur ami de toujours, Heorhii Sudakov, il frappe sans contrôler et envoie le ballon petit filet gauche, libérant ainsi les siens et propulsant 45 millions d’âmes en Allemagne.

Une empreinte Rebrov relative

La Zbirna possède avec Rebrov l’un des meilleurs coachs ukrainiens en activité, si ce n’est LE meilleur, mais son Ukraine ne porte pas de véritable « empreinte Rebrov ». Quelques consignes de base sont inculquées, telles que la relance courte et la volonté de jouer de manière proactive même face aux grandes équipes, mais cela se traduit trop rarement par une réussite. Inspirée par la pensée d’Edgar Morin, l’équipe nationale de football d’Ukraine peut être comparée à une tapisserie composée de fils variés. Chaque joueur possède des talents uniques, semblables à des fils de lin, de soie, de coton et de laine, aux couleurs diverses. Bien que connaître les compétences individuelles de chaque joueur soit essentiel, cela ne suffit pas à appréhender l’équipe dans son ensemble. Malgré tous ces talents, l’équipe d’Ukraine n’est pas nécessairement supérieure à la somme de ses parties individuelles.

Plus proche de onze joueurs solitaires sur le terrain, qu’un collectif unique et indivisible. Son apport tactique reste bien en deçà de ce qu’il a pu apporter auparavant au Dynamo Kyiv ou bien au Ferencvaros. On retrouve cependant une base tactique indéniable, où Dovbyk, ou plus rarement Yaremchuk, sont utilisés comme points d’appuis lors des phases de relances, servant de pivot et de point de fixation pour laisser le temps au bloc de remonter ou pour faire des déviations en une touche dans le dos de la défense pour Mudryk et Tsyhankov. Autre point clé de la tactique de Rebrov, l’utilisation de Zinchenko comme l’homme à tout faire. Ce dernier peut, si besoin, venir épauler le latéral gauche lors de grosses menaces sur le couloir. Mais la plupart du temps, le Gunner se localise au cœur du jeu. En phase défensive, il n’hésite pas à se muer en deuxième numéro 6 pour couper les lignes de passes et tenter de récupérer des ballons. En transition offensive, il se projette vers l’avant en devenant, au côté de Sudakov, un deuxième numéro 10 dans le demi espace. Si la phase offensive se voit plus lente ou que l’Ukraine fait le siège de la surface adverse, Zinchenko recule plus bas sur le terrain, afin de distribuer des ballons de gauche à droite et inversement. En attendant l’ouverture pour faire LA passe qui cassera le bloc défensif. Mais si l’empreinte de Rebrov n’est que peu marquée sur son jeu, son onze la rencontre intégralement. Très souvent, pour pas dire toujours, les onze mêmes, toujours en 4-3-3 en phase offensive, qui se mue en 4-2-3-1 en phase défensive.

Un XI hypothétique jusqu’au bout

Cinq postes encore bien incertains, à quelques jours de l’Euro. (Crédit photo : Tactical-board)

Les quelques incertitudes persistant dans la composition d’équipe proviennent du côté défensif. Si Trubin a toujours été titulaire devant Lunin, ce n’est plus le cas depuis le dernier rassemblement. Le gardien du Real Madrid ayant joué les deux matchs de barrages pose un doute sur qui tiendra ce poste lors de l’Euro. Dans la section doutes, on retrouve ceux du latéral gauche et le milieu défensif. Dans le premier cas, Mykolenko occupe ce poste. Cependant, sa saison avec Everton s’est terminée prématurément en raison d’une blessure, laissant des incertitudes sur sa capacité physique à tenir le rôle pour l’Euro. Si le joueur d’Everton peut tenir son rang, quelques solutions existent. La première, Olexandr Tymchyk (Dynamo Kyiv), bien que peu probable. La seconde, ce bon vieux Zinchenko, alors remplacé par Mykola Shaparenko au milieu. Enfin la dernière, la plus probable, un décalage de Mykola Matviyenko sur le côté gauche, comme souvent le cas en club, pour qu’Olexandr Svatok (Dnipro) qui prendra sa place de central gauche.

Il en va de même pour Taras Stepanenko, souvent blessé cette saison avec le Chakhtar. Son niveau diminue inévitablement en raison de son âge, alors qu’il fêtera ses 35 ans cet été. Perdant peu à peu sa place de titulaire au Chakhtar, n’ayant que quatorze titularisations en championnat cette saison. Dans le même temps Volodymyr Brazhko (22 ans) émerge depuis quelques mois comme LE milieu défensif ukrainien, sortant d’une très grosse saison avec le Dynamo Kyiv et ayant été titulaire lors des deux matchs de barrages. Si on suit une pure logique sportive, Brazhko devrait être titulaire, d’autant plus qu’il a parfaitement suppléé Stepanenko. Mais Rebrov ne fait pas toujours des choix purement sportifs, comme on peut le voir avec la sélection du vétéran Andriy Yarmolenko. Ou plus simplement la gestion de Stepanenko, possèdant sa place attitrée dans le onze malgré un déclin évident et l’émergence de bien meilleurs talents. De ce fait, il y a fort à parier que le milieu aux 83 capes, uniquement de par son statut, soit celui qui débute l’Euro, si son corps lui autorise.

Si vous vouliez une liste pleine de surprise, autant aller au cirque. (Crédit photo : Ukrainian Association of Football – Facebook)

Si le XI comporte que peu de surprises, il en est de même de la liste de Serhiy Rebrov, qui ne sélectionne aucune nouvelle tête. Malgré les mérites de certains, notamment aux joueurs du Rukh Lviv ayant fait une formidable saison comme les défenseurs Oleksii Sych (23 ans) ou encore Bohdan Slyubyk (20 ans), l’équipe conserve des joueurs plus âgés dont le niveau ou la condition physique suscitent des doutes. Ces joueurs bénéficient d’un traitement de faveur en raison de leur statut ou de leur amitié avec le sélectionneur. C’est le cas notamment avec Yarmolenko, meurtri toute la saison par les blessures et éprouvant des difficultés à jouer plus d’une heure malgré la faiblesse de l’intensité en UPL.

Illia Zabarnyi, le roc de l’Ukraine

Illia Zabarnyi, jeune prodige de la défense ukrainienne, se tient prêt à briller lors de cet Euro 2024. Né le 1er septembre 2002, Zabarnyi s’est rapidement imposé comme l’un des piliers de l’arrière-garde du Dynamo Kyiv à seulement dix-huit ans. Puis très rapidement pour l’équipe nationale ukrainienne, malgré son très jeune âge. Avec une maturité remarquable, il combine un sens aigu de l’anticipation avec une puissance physique impressionnante, qui lui permettent de tenir tête aux attaquants les plus redoutables. Son calme sous pression et sa capacité à relancer proprement le ballon font de lui un atout inestimable pour l’Ukraine. À seulement 21 ans, Zabarnyi est déjà un leader de cette sélection avec 34 capes.

Bournemouth peut débourser vingt-deux millions pour un joueur, vous vous rendez compte ? (Crédit photo : Ukrainian Association of Football – Facebook)

Sa performance à l’Euro sera scrutée par les plus grands clubs européens dans le prolongement de son excellente saison avec Bournemouth, avec qui il a été élu meilleur joueur de la saison par les fans. Cette reconnaissance attire naturellement l’attention des recruteurs. Tottenham et Manchester United manifestent de l’intérêt pour le jeune prodige ukrainien. En plus de cela, il faut ajouter qu’il possède déjà de l’expérience dans cette compétition, titulaire lors de l’édition précédente dans laquelle il avait excellé. Le taulier des Cherries possède tous les atouts pour figurer parmi les meilleurs défenseurs de cet Euro, et peut-être même du monde dans les années à venir. Sa progression constante ne laisse présager que le meilleur, et cette compétition pourrait encore lui faire passer un cap.

Un grand parcours à faire

L’Ukraine pourra donc compter sur de fortes individualités et de superbes talents pour cet Euro, comme elle n’en a jamais eu. En plus de cela, son groupe semble plus qu’abordable avec la Belgique, la Roumanie et la Slovaquie. L’Ukraine peut légitimement rêver d’égaler son parcours de la dernière édition, un quart de finale. Si le tirage lui est favorable, elle peut même espérer faire encore mieux. Cela permettrait de faire vibrer tout un peuple et d’apporter un peu de joie à une Ukraine qui en manque cruellement depuis plusieurs années. Mudryk, Tsyhankov, Zabarnyi, Dovbyk et leurs camarades portent de lourdes responsabilités. Leur jeu incarne bien plus que leurs propres intérêts ou ceux de l’équipe : il représente toute une nation.

Chaque fois qu’ils entrent sur le terrain et chantent l’hymne national, drapeau ukrainien sur les épaules, ils portent les espoirs et la fierté de tout un peuple. À cet instant, chaque battement de coeur résonne avec une profonde passion patriotique. Comme le proclame l’hymne ukrainien : « À nous, frères ukrainiens, la chance sourira encore. Nos ennemis périront, comme la rosée face au soleil. Et nous prouverons, mes frères, que nous sommes les descendants des Cosaques. »

Zag

Recent Posts

Ryan Gauld, le chemin de croix de Saint-André

Surprise inespérée de la trêve internationale, Ryan Gauld, 28 ans, fut appelé pour la première…

4 jours ago

Coupe du Monde Futsal 2024 : Impossible n’est plus français

Lundi 16 septembre 2024 : date à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du futsal…

2 semaines ago

[EDITO] Didier Roustan, c’était LE foot

Une annonce comme un orage, comme un naufrage en ce mercredi 11 septembre 2024 pour…

3 semaines ago

[EDITO] Paris 2024, une étincelle d’espoir

Dans un mélange d'allégresse et d'une petite amertume, les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont…

1 mois ago

Nico Williams – Lamine Yamal : quand les ailes attaquent

Loin de faire partie des favoris avant le début de l'Euro 2024, l'Espagne subjugua tout…

3 mois ago

Espagne : à la croisée des chemins (Preview Euro)

Sélection incontournable de la fin des années 2000 jusqu’au milieu des années 2010, l’Espagne tente…

3 mois ago