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En lice pour une course au titre alors qu’on attendait une lente reconstruction, Tottenham aura connu son premier revers en Premier League contre Chelsea, dans des conditions pour le moins chaotiques. Et si l’on ne peut retenir que le score, il est aussi signe d’un changement intégral de mentalité au sein des Spurs. Retour en arrière.
54e minute de jeu. Alors que Tottenham reste capable de faire violence aux Blues, l’équipe se retrouve beaucoup plus exposée aux transitions. Encore plus lors de pertes de balle. Nicolas Jackson joue bien sa course en écartant sur sa gauche, mais Dier arrive à l’expérience à semer le doute chez le passeur. L’ex-Citizen se rabat sur une passe pour Cole Palmer. Mal appliquée, Destiny Udogie la dévie. Puis le drame. Dans un duel trop engagé, l’irlandais terrasse le numéro 7 de Chelsea. Pas besoin de VAR, Michael Oliver dégaine un second carton rouge. Pour une fois qu’on n’aura pas à critiquer un arbitre anglais. Dans une grande affiche du championnat, primordiale pour conserver leur bonne place, Tottenham joue donc à neuf pendant 35 longues minutes.
Un tout pour le tout de haute volée
Au vu du contexte, et connaissant les derniers techniciens passés le nord de Londres, la logique voudrait que les Spurs protègent le score en formant un bus. Mourinho aurait fait ça. Concernant Conte, qu’on a connu plus excentrique, c’est moins sûr. Mais en se rappelant certains plans de jeu de son Tottenham (le traumatisme contre l’OM, par exemple), on peut statuer que l’italien serait rentré dans le rang. Est-ce qu’Ange Postecoglou en a fait de même ? Si on écrit dessus, vous pouvez vous douter que non.
Peut-être sont-ce les deux phases suivant l’expulsion qui l’ont conforté dans son idée ? Sur le coup-franc qui suit, une très bonne combinaison de Cole Palmer et Reece James envoie le bloc dans les cordes. Seul le genou de Højbjerg (le soir des revenants, décidément) peut éviter une fin de match prématurée. Le corner se joue, pris de la tête par les Spurs. Mais ce qui frappe, c’est le comportement défensif une fois le corner joué. Le bloc est étonnamment haut pour une équipe en infériorité numérique. Chelsea a logiquement plus de facilités à faire tourner, essayer de trouver une combinaison. Mais elle se retrouve obligée d’allonger pour déséquilibrer le bloc. Enzo Fernandez sera signalé hors-jeu sur son dernier ballon. Si cela a marché sur une phase, pourquoi pas continuer de l’appliquer, après tout ?
Plus les phases s’enchaînent, plus le téléspectateur a de quoi halluciner. A la phase suivante, la ligne défensive de Tottenham (qui n’a pas été renforcée, toujours en situation de 4 contre 4) se retrouve à la ligne médiane. Quand on croit que Nicolas Jackson arrive à prendre la profondeur avec une facilité déconcertante, le ralenti révèle un hors-jeu. Si on ajoute à cela un Guglielmo Vicario qui veille au grain, la partie que nous sommes en train de vivre devient inédite.
Bien entendu, on ne va pas détailler toutes les phases, mais elles donnent une idée de ce que l’on peut voir. Pendant de nombreuses minutes (très longues des deux camps), le même scénario se répète. Chelsea va avoir tout le mal du monde à trouver des ouvertures. Sur les blocs bas, c’est peut-être même pire. Hormis des transversales pour trouver Mudryk et Reece James, les Blues montrent leurs failles créatives. Mention aussi aux séquences défensives des Spurs, capables de prendre l’ailier en 2v1 tout en ayant un bloc construit.
Dès qu’une connexion arrive à être faite, Vicario l’enraye avec des sorties toujours plus déraisonnables. Højbjerg reprend du service avec de gros retours défensifs et des ballons interceptés. Une entrée remarquée au point d’être titulaire contre les Wolves au match suivant. Sans oublier cette fabuleuse image à la 67e minute, où nous avons droit à huit joueurs de Tottenham sur la ligne médiane. On évitera de mentionner la gestion de l’occasion de Marc Cucurella, sous peine de s’arracher les cheveux. Les siens, de préférence.
Alors qu’on commence à croire qu’un moment d’histoire est en train de se créer, la réalité revient au galop. Car même si le match de la charnière Eric Dier – Højbjerg est jusqu’ici admirable, leur vitesse reste un gros point faible en profondeur. Ce que Chelsea a voulu exploiter tout au long de leur supériorité numérique, qui sera enfin récompensé par Sterling et Nicolas Jackson (74e). Pour ne rien arranger à la frustration, il y aura cette inspiration d’Eric Dier, pénalisée par un hors-jeu (77e). Sans parler de l’opposition, qui se retrouve débordée d’un claquement de doigts, sur un CPA à 11 contre 9. Rebelote à la 85e minute, où Bentancur était à deux doigts d’étrenner son retour.
Si l’égalisation ne viendra jamais côté Tottenham, les efforts pour essayer de l’accrocher restent remarquables. En possession défensive, Chelsea se retrouve face à quatre joueurs toujours plus haut sur le terrain pour gratter un ballon. Une ligne de trois Skipp – Bissouma – Bentancur pour occuper le terrain et quand même éviter d’être trop facilement percé. Accompagnant Heung-min Son, en pointe, effectuant des courses immenses pour mettre une pression sur le porteur de balle. Elle est même encore en capacité de réaliser des actions d’école, avec ce jeu en triangle serti d’un appel intérieur d’Emerson aspirant Malo Gusto (illustré ci-dessous) pour trouver Bentancur en position de centre. Sans succès.
Les occasions s’enchaîneront, comme cette récupération monstrueuse d’Yves Bissouma, qui découlera sur le face-à-face de Son contre Robert Sanchez. Mais la suite, vous la connaissez. Désormais trop focalisés par cette possibilité de marquer, les Spurs en oublieront leur alignement défensif. Ce qui facilitera le triplé d’un Nicolas Jackson, libéré au point d’en être très expansif dans sa manière de célébrer. Victoire 4-1 pour Chelsea. Un résultat certes logique, certes terriblement frustrant, mais qui laisse entrevoir des perspectives d’avenir radieuses en Tottenham.
La révolution du nord de Londres
« La ligne haute ? Cela représente juste ce que nous sommes, mate. Tant que je serais là, ce sera exactement ce que l’on va faire. Même si nous nous retrouvons à cinq, on continuera de tenter le coup ». Voilà les propos d’Ange Postecoglou en conférence de presse après la défaite au Tottenham Stadium. Obstination ? Non, la suite logique de ce qui pourrait être le projet le plus ambitieux de Premier League.
Comme vous avez pu le comprendre avec les visuels, l’australien aime jouer et défendre le plus haut possible, avec une ligne défensive capable d’aller jusqu’à la ligne médiane. Le tout avec une propension à défendre individuellement sur leurs vis-à-vis. Micky van de Ven, Destiny Udogie ou même Cristian Romero commencent à se faire une solide réputation à ce sujet. Une statistique allant dans ce sens étant le PPDA (passes par action défensive dans le camp adverse) : cette saison, Tottenham a le pressing le plus agressif d’Angleterre avec un taux de 9,2. La saison dernière sous Antonio Conte, les Spurs étaient quatorzièmes avec une moyenne de 13,8.
Ce qui est moins visible avec ce match, c’est la volonté chez Postecoglou d’obtenir la possession. La défaite contre Chelsea étant d’ailleurs le seul match de la saison où les Spurs ne l’auront pas en majorité. Encore pour comparer avec la saison dernière, 59,8% de moyenne cette saison contre 49,9%. Football de possession et volonté de jouer très haut sont alors ses deux idéaux appliqués depuis de nombreuses années. Face aux Blues, Ange Postecoglou a en réalité usé de son choix le plus logique. Celui qui va dans la continuité de ses idées de jeu. Celui qui posait le plus de problèmes à l’adversaire en supériorité numérique. Celui qui pouvait te permettre d’encore attaquer, au lieu d’attendre en bloc bas un but presque inévitable.
Latéraux inversés avec Porro et Udogie. Des schémas de passes rigides, en réalité réfléchis de manière à devenir fluides et propices à une grande liberté de mouvement des joueurs. Un chaos constant provoqué chez les défenses adverses. Tout de suite, c’est sûr qu’on peut dire à quel classe d’entraîneurs auxquelle Ange appartient. Difficile de se rappeler d’un coach avec une telle idéologie de jeu au sein de Tottenham. Sur la dernière décennie (Pochettino, Mourinho, Conte et même Nuno pour ceux qui ont bonne mémoire), la mentalité du club reposerait plutôt sur un dispositif en profondeur sans ballon, avec des contres comme solution offensive majeure. La présence d’Harry Kane et Heung-min Son au panthéon du club y joue pour quelque chose. On peut alors penser à l’avènement d’un football protagoniste.
Une construction d’effectif diabolique
Ange Postecoglou, entraîneur du mois en Premier League en août, septembre et octobre, a grappillé 26 points sur ses douze premières journées dans l’élite. A titre de comparaison, Pep Guardiola en avait obtenu 27, lors de la saison 2016-2017. Avoir un aussi gros début de saison au début d’un nouveau projet, c’est très bien. Réussir à appliquer à la lettre et aussi bien le plan de jeu pensé par son entraîneur, c’est très fort. Combiner les deux en ayant apporté tout de suite sa propre politique de transferts, et avoir un effectif adapté et bien souvent peu cher, c’est dépasser toutes les attentes.
Arrivant après une saison très fragile en termes de résultats et l’été du départ de Harry Kane, difficile en réalité d’avoir une meilleure occasion de faire peau neuve. Même s’il était loin d’être le premier choix de Daniel Levy, choisir l’australien restait sur le moment une bonne idée pour marquer une nouvelle direction à l’intérieur du club. Qui de mieux pour diriger une reconstruction et un renouveau que celui qui a déjà effectué cela au Celtic, à son arrivée en 2021 ? Après une saison noire sous l’égide de Neil Lennon qui aura vu les Rangers reconquérir la Premiership, Ange Postecoglou aura appliqué le même plan. Un jeu ultra-dominant à l’image du club, appuyé par une identité grandement asiatique de par son expérience à Yokohama. Deux années plus tard, il laisser le club en lui rendant une stature perdue, celle d’une potentielle menace sur le continent, tout en prenant deux titres de champion d’Ecosse. Dont une saison 2022-2023 terminée avec la bagatelle de 114 buts inscrits, record absolu du championnat. Une nation soumise à la vitesse de l’éclair, telle est l’ambition. Evidemment, en Premier League, c’est plus difficile d’être compétitif avec un exode de joueurs asiatiques (quoique Reo Hatate…). Or, cette volonté de construire l’effectif avec des éléments de plus bas standing, mais beaucoup plus adaptés à son identité de jeu reste intacte. Une stratégie à risques, quand tu reçois 100 millions pour le meilleur joueur de ton histoire.
Comment ne pas souligner ce succès à court-terme par l’arrivée de Guglielmo Vicario ? Alors qu’il faisait ses débuts en Serie A au printemps 2021, le portier italien a connu une ascension fulgurante sous le maillot d’Empoli. Remarquable pour ses réflexes, sa gestion des 1 contre 1, sa maîtrise dans les airs, le natif d’Udine a une palette complète du gardien moderne. Capable de monter très haut (le match contre Chelsea en est une preuve), il peut aussi participer au jeu avec ballon. Un profil adéquat à Postecoglou, qui va même au-delà du Joe Hart à sa disposition à Glasgow. Un contact sur le plan humain qui a dû aussi beaucoup marcher, avec des personnalités fortes, des carrières qui commencent à partir de rien ou presque… Les deux doivent avoir beaucoup en commun sur le plan mental.
Avant Ange, Tottenham aurait-il osé se jeter sur Micky van de Ven, titulaire une seule saison en Bundesliga, dans le Wolfsburg de Niko Kovac ? Quand les caisses sont pleines et que le secteur défensif restait une immense priorité, rien n’est moins sûr. Même si son potentiel avait déjà été repéré à Volendam, le néerlandais a lui aussi profité d’une progression fulgurante, avant d’être aujourd’hui le taulier des Spurs. Celui qui tient la maison par sa solidité physique, sa gestion des duels et sa vélocité. Dire qu’il était tout près de rejoindre Marseille.
Entre d’autres coups bien sentis pour le présent (James Maddison, pièce maîtresse dans le secteur créatif) ou pour le moyen-terme (Brennan Johnson) qui font toujours grincer les dents de l’australien sur le prix, il y a la carte jeunes. Ange Postecoglou est un entraîneur qui n’hésite jamais à donner sa chance aux moins expérimentés. Avoir donné du temps de jeu à Liel Abada, Matt O’Riley ou Jota ? Il n’a pas hésité une seconde, les trois recrutements étant aussi sous sa bénédiction. Intégrer dans son groupe de gros espoirs du club comme Ben Summers ou Rocco Vata ? Il l’a fait, et l’avenir lui donnera probablement raison. Là où le bon sens demandait au Tottenham d’avant de prendre Pape Matar Sarr, Bryan Gil ou Ryan Sessegnon, l’athénien fouille. Alejo Veliz, monstre aérien en pointe de Rosario Central et Ashley Phillips, géant dans la charnière de Blackburn, rejoignent l’équation. On peut être alors sûr que leur intégration se passer pour le mieux et que le recrutement n’a pas été fait au doigt mouillé. A voir le mercato hivernal, l’équipe devant améliorer sa profondeur d’équipe si elle veut être un vrai candidat au titre.
👤 Micky van de Ven
Volendam #KKD 🇳🇱
Défenseur central (2001)Joueur très intéressant sur beaucoup d’aspects : qualité de relance, avance balle au pied pour casser la 1e ligne, rapide, dynamique sur premiers appuis, prise d’info, tacles, jeu aérien…pic.twitter.com/OvlEBe7ST7
— Football Scouting (@FootScoutingFR) March 8, 2020
En conférence de presse, Ange Postecoglou a souvent répété qu’il y aurait des bosses sur la route. Cependant, si les bosses restent une concurrence terriblement forte et des blessures de quelques joueurs-clés (van de Ven et Maddison n’ont pas déclaré forfait pour la saison non plus), le bout du chemin ne peut être que vertueux. L’ensemble, du terrain à l’arrière-cuisine, est géré d’une main de maître par un technicien réussissant ce qu’il entreprend depuis une dizaine d’années. Peut-être devra-t-il, comme ont fait ses pairs, modifier quelque peu sa copie pour être définitivement rangé au côté des meilleurs.