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Si vous êtes amateurs de football, vous avez sûrement vu les différentes partenariats de clubs avec Sorare. Cette licorne française offre la possibilité d’acheter sous forme de NFT des cartes de joueurs virtuelles. Le tout permettant d’acheter, de vendre, d’échanger et de gérer une équipe virtuelle. Aujourd’hui, ce sont 289 clubs qui sont sous licence officielle, dont 14 pour la Ligue 1. Certains ont pu comparer cela aux collections de cartes Panini que nous avons tous connues plus jeunes. Cependant, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) n’apprécie pas la situation de la même manière, estimant que Sorare est en fait un opérateur de paris sportifs, au même titre que Betclic ou Parions Sport. Ce qui lui permettrait d’exercer son contrôle sur son activité.
Sorare : un parallèle avec le pari sportif
Pour que l’ANJ puisse exercer ses prérogatives de contrôle et de régulation sur la licorne française, une condition primordiale doit être remplie. Celle que le service offert doit être similaire à celui d’un opérateur de jeux d’argent et de hasard. En ce sens, l’article L320-1 du Code de la sécurité intérieure définit les jeux d’argent et de hasard :
« Toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naitre l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé de la part des participants »
Frédérique Guerchoun, directrice juridique de l’ANJ, s’est exprimée sur le sujet dans une interview à BFM Business. Pour elle, le service offert par Sorare semble remplir tous les critères. En effet, l’achat sous forme de NFT correspond à un versement d’argent, et de fait un sacrifice pécuniaire. La jurisprudence accorde qu‘il suffit pour qu’il y ait sacrifice pécuniaire de « provoquer par l’espérance d’un gain un versement d’argent » (***).
Ainsi, les acheteurs obtiennent la carte des joueurs suite à un versement d’argent, dans l’espérance d’obtenir une plus-value. Mais cette plus-value est soumise au hasard. Les acheteurs ne peuvent rien faire quant à cette prise de valeur. Evidemment, cela reste aux mains de l’aléa des performances des joueurs, que personne ne peut connaitre à l’avance. Les primes ou bénéfices sont donc laissées à l’appréciation du hasard. Même s’il semble plus facile d’espérer un but de Mbappe qu’un clean sheet de Joaquim Blazquez. Ce qui fait du service offert par Sorare un système de pari sportif aux yeux de l’ANJ et de la jurisprudence.
L’incertitude de la spéculation
Si cette pratique intéresse particulièrement l’ANJ, c’est bien parce que les loteries et jeux de hasard ont toujours bénéficié d’un régime particulier à celui des autres activités. Notamment pour protéger les joueurs de l’endettement et de l’addiction, la loi est toujours venue encadrer avec vigueur les opérateurs. C’est même un régime général de prohibition qui est mis en place depuis deux siècles en France. Autrement dit, sans autorisation de l’État, ces jeux sont interdits. Sans agrément de l’ANJ, les opérateurs de paris sportifs sont illégaux.
Le mouvement général de sensibilisation du public aux risques des paris sportifs pousse alors l’ANJ à observer de près les transactions financières effectuées par le biais de Sorare. Le nombre de personnes endettées ou ayant une pratique à risque a explosé ces dernières années. Le tout sans même prendre en compte la Coupe du Monde 2022. C’est donc dans une logique de protection des utilisateurs que l’autorité souhaite agir. Le principal problème est que les NFT sont entourés d’un vide juridique important quant à leur réglementation. Pour exemple, la carte unique de Cristiano Ronaldo a été vendue 280.000 dollars. En plus de sommes considérables parfois engagées par les acheteurs pour se procurer la carte d’un joueur, c’est un système financier fragile qui entoure la pratique.
Pour rappel, la spéculation financière consiste à effectuer une transaction dans la perspective d’une variation de prix à la hausse ou à la baisse, dont l’objectif est de réaliser un gain en capital. Ce qui correspond exactement à Sorare, les cartes prenant de la valeur en fonction des performances individuels des joueurs. Tout comme la cryptomonnaie, la volatilité de cette spéculation peut entrainer de très gros risques pour les acheteurs. Le tout sans encadrement juridique précis.
Une régulation précise et durcie
L’ANJ est une autorité publique de régulation des jeux d’argent et de hasard. Cela signifie qu’elle est créée au nom de l’État, mais agit de façon indépendante. Cette indépendance leur permet de vérifier les agissements des opérateurs, leur pratique… On ne laisse pas n’importe qui faire n’importe quoi quand il s’agit de jeux d’argent par le biais du hasard. Winamax a pu faire les frais des prérogatives de l’autorité. Comme lorsque l’opérateur a été contraint de retirer leur pub « Tout pour la daronne », suite à une condamnation en mars 2022. En admettant que Sorare soit reconnue comme un hébergeur de paris sportifs, l’ANJ peut exercer son contrôle sur l’entreprise.
Le système de jeu de cartes mis en place par Sorare peut avoir des conséquences quant à l’intégrité sportive. La France déploie depuis quelques années une véritable lutte pour l’éthique sportive. Elle procède même à une collaboration avec différents acteurs nationaux et internationaux. Notamment en renforçant les obligations éthiques et morales des fédérations et des clubs sportifs. Mais aussi en participant activement à l’élaboration de la Convention européenne de lutte contre la manipulation des compétitions sportives. C’est ce que l’on appelle la Convention de Macolin, entrée en vigueur en 2019.
La triste affaire des frères Karabatic en 2012 avait poussé l’ANJ, à l’époque ARJEL, à interdire aux sportifs d’être mêlés à des paris portant sur une compétition dont ils sont acteurs. Entre mi-2020 et début 2021, Gerard Piqué ou encore Antoine Griezmann sont devenus actionnaires minoritaires de l’entreprise. Kylian Mbappé est lui-même devenu « investisseur et ambassadeur exclusif » de la start-up durant l’été. Cela peut donc poser certaines questions d’intégrité, justifiant que l’ANJ souhaite avoir la main mise pour encadrer le fonctionnement du jeu de cartes NFT. Par cette prise de position, la France continue de marquer sa volonté de lutter pour un sport éthique, intègre et loyal.