Angleterre

Sheffield Wednesday – Sheffield United : le Steel City Derby de la renaissance ?

Ce dimanche 23 novembre 2025, l’un des derbys les plus iconiques du Royaume se tiendra sur la mythique pelouse d’Hillsborough. Si certains y verront un simple duel entre rivaux mal classés et malades, cette rencontre pourrait marquer un tournant dans l’histoire des deux clubs de Sheffield. Plus qu’un match de football, le Steel City Derby représente un duel fratricide pour l’hégémonie de la ville berceau du football. Mais cette fois-ci marque les retrouvailles entre deux institutions en détresse.

L’une des rivalités les plus anciennes de l’histoire du football. Une opposition séculaire divisant les habitants de Sheffield depuis près de 140 ans. Un derby touchant, dès sa genèse, à l’identité des deux clubs. En effet, pour des raisons financières, Sheffield Wednesday doit quitter son enceinte de Bramall Lane en 1887. Un départ entraînant la naissance d’un nouveau club pour occuper le stade, le Sheffield United, en 1889. L’équipe nouvellement formée s’arroge le surnom de Blades, en référence à l’industrie de la coutellerie qui fait la fierté de Sheffield. Par ce surnom, United se fait désormais le porte-étendard de la ville, alimentant le ressentiment des fans de Wednesday. Une animosité exacerbée par plusieurs rencontres entrées dans la légende du Steel City Derby. Du score cinglant de sept à trois infligé par les Blades aux Owls en 1951, en passant par « The Boxing Day Massacre » de 1979 et la victoire quatre buts à zéro de Wednesday à Hillsborough, cette lutte intestine déchaîne les passions dans une ville aujourd’hui déclassée.

Autrefois prospère grâce à son industrie sidérurgique, Sheffield subit les affres de la politique ultra-libérale de Margaret Thatcher, entrainant son déclin dans les années 80. Comme un symbole, la ville est choisie pour l’action du film The Full Monty, retraçant les pérégrinations d’anciens ouvriers au chômage, luttant pour exister grâce au strip-tease. Aujourd’hui, la ville de Sheffield s’est relevée. Les grands centres commerciaux et les boutiques des firmes internationales ont remplacé les anciennes usines, accélérant la perte d’identité culturelle et symbolique de la ville. Face à cette mondialisation croissante, le football fait pourtant encore office de rempart. Liant le passé ouvrier de Sheffield et la fierté civique, les Steel City Derby ravivent le passé glorieux de l’ancienne cité industrielle.

Une ferveur décuplée par le fait que les Blades et les Owls ont longtemps été hermétiques aux grands changements du football, trouvant refuge dans leur identité britannique pour exister. Ce lien entre Sheffield et le ballon rond est tellement unique qu’un groupe de militants tente d’inscrire la ville au patrimoine immatériel de l’UNESCO pour son apport au développement du football. Néanmoins, depuis une décennie, les clubs de Sheffield succombent eux aussi aux chants des sirènes étrangères, mettant en péril 140 années d’histoire et de fierté locale.

Les supporters des Hiboux ne sont plus à bout

Le 24 octobre 2025, l’annonce de la mise sous administration de Wednesday par son propriétaire, Dejphon Chansiri, provoque un séisme Outre-Manche. Le club se voit retirer douze points et laisse s’envoler son maigre espoir de maintien en Championship. Néanmoins, l’émotion laisse très vite place à l’Union Sacrée. Les supporters des Owls, qui désertaient en nombre les tribunes et boycottaient la boutique officielle, se mobilisent désormais pour reprendre le contrôle de leur club. Afin de remplir les caisses, les fans se ruent sur les maillots et les produits dérivés, repeuplant les travées d’Hillsborough ainsi que les stands de boissons et nourritures. Kris Wigfield, l’un des administrateurs du club, déclare d’ailleurs que « plus de 200.000 £ ont été dépensés dans la boutique du club », quelques jours seulement après l’annonce de l’administration judiciaire.

Les administrateurs appuient d’ailleurs cette réappropriation symbolique du club par ses fans. En effet, lors de la réception d’Oxford, premier match de cette nouvelle ère, un vidéoclip débutant par le message « Redémarrage en cours… Suppression réussie ! Contact avec l’administrateur pour lancer la récupération… » , suivi d’images retraçant l’histoire des Owls était diffusé à quelques minutes du match. Une volonté de galvaniser et de redonner de la fierté à des fans ayant souffert ces dernières années. Matt Barnes, fervent supporter de Wednesday n’ayant aucun lien avec le champion NBA, annonçait son optimisme au micro de la BBC : « D’ordinaire, une mise sous administration judiciaire est une très mauvaise nouvelle. Mais c’est peut-être la meilleure nouvelle que nous ayons eue depuis longtemps ». De quoi prouver que non, Wednesday n’est pas mort.

Si les maux ne sont pas aussi profonds du côté de Bramall Lane, le retour au bercail de l’enfant chéri des Blades, Chris Wilder, suscite également de l’espoir. Véritable figure tutélaire, le voilà accueilli à la maison par des chants et des banderoles à sa gloire lors de son come-back mi-septembre. Né dans la banlieue de Sheffield, supporter et ancien joueur de United, Wilder incarne parfaitement les valeurs populaires du club. Partisan de la simplicité, il inculque à ses équipes détermination, combativité et esprit d’équipe. Des mantras auxquels s’identifient les fans des Blades et qui rappellent le passé sidérurgique de Sheffield. Cette mentalité peu progressiste, voire réactionnaire, a permis à Wilder de guider United des limbes de la League One à la Championship entre 2016 et 2019.

Pourtant, si ce retour semble ravir la majorité des fans, des voix dissidentes critiquent ce choix et s’en prennent à la direction du club. Dutch, fan des Blades lui aussi interrogé par la BBC, déclarait il y a quelques semaines, être « un immense fan de Chris Wilder pour tout ce qu’il a fait pour le club. Mais nous avons besoin d’un plan de succession, car nous ne pouvons pas toujours nous rabattre sur lui ». Car, si Wilder est le garant de la stabilité côté United, force est de constater qu’à l’instar de son rival, la gestion chaotique du club l’entraîne vers la crise depuis une quinzaine d’années.

Une décennie à rêver de grandeur

Longtemps imperméables à la mondialisation du football, les clubs de Sheffield vont pourtant rompre avec leur autarcie. En effet, Blades et Owls sont traditionnellement détenus par des entrepreneurs locaux, natifs du Yorkshire et surtout amoureux des clubs. Des propriétaires fortunés, mais loin des énormes puissances financières de certains dirigeants de Premier League. Erigé en fierté locale, l’entrisme des clubs de Sheffield les voit cependant se heurter à un plafond de verre. Ce manque de compétitivité force les deux rivaux à trouver des alternatives, notamment étrangères. En 2010, Milan Mandarić, homme d’affaires serbo-américain, rachète les Owls, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. S’ensuit l’entrée au capital de United du prince saoudien Abdullah en 2013, pour arriver au rachat de Wednesday par l’homme d’affaires thaïlandais Dejphon Chansiri en 2014.

Si 20.000 personnes donnaient 100 livres, cela ferait deux millions de livres, et Sheffield Wednesday n’aurait plus de problèmes.

Dejphon Chansiri, économiste.

Dès son arrivée, Chansiri investit massivement dans le but de créer une équipe taillée pour la montée dans l’élite. Exit le manager britannique Stuart Gray, place à l’expérimenté Carlos Carvalhal. L’arrivée du technicien lusitanien amorce une révolution culturelle chez les Owls. Bien que les résultats soient intéressants, le club bute systématiquement lors des play-offs, et ne goûtera jamais à la Premier League. En coulisses, obsédé par ses rêves de gloire, Chansiri coule le club financièrement. Wednesday est d’ailleurs épinglé pour violation des règles de rentabilité et de viabilités instaurées par l’EFL, en raison de sa masse salariale délirante.

De son côté, malgré les deniers étrangers, United préserve son identité typiquement britannique. Sous la houlette de Chris Wilder, les Blades performent et retrouvent l’élite en 2019. Néanmoins, des dissensions internes viennent perturber leur ascension. L’augmentation massive de la valeur du club, due aux promotions, entraîne ses deux principaux actionnaires, le prince Abdullah et Kevin McCabe, dans un conflit juridique. Une crise de propriété qui exaspère les supporters, plus soucieux des intérêts du club. Le procès est remporté par le prince, mais celui-ci s’efforce très vite de trouver un repreneur. Chose faite le 23 décembre 2024, lorsqu’un groupe d’investisseurs américains rachète United pour 135 millions de dollars.

« When the sun goes down », gestion calamiteuse et fin des ambitions sportives

L’un des titres phares du groupe Arctic Monkeys, originaire de Sheffield, peut aisément illustrer le chaos régnant dans le South Yorkshire. Du côté d’Hillsborough, le règne de Chansiri tourne au fiasco. S’arrogeant le contrôle absolu du club, le Thaïlandais multiplie les erreurs. Masse salariale délirante, augmentation du prix des billets, irrégularités lors d’exercices financiers, salaires impayés et dettes auprès du fisc britannique détériorent la situation du club. Plus grave encore, Chansiri voit sa relation se dégrader avec les fans des Owls. Interrogé lors d’une interview au sujet des deux millions de livres de dettes dues aux impôts, il déclare que « si 20.000 personnes donnent 100 livres, cela ferait deux millions de livres, et l’affaire serait close », suscitant la colère des supporters.

Ayant fait fortune dans la production de thon en conserve, Chansiri est pourtant contrait de quitter le (Petit) Navire. (Crédit photo : Sheffield Wednesday)

 

À United, le rachat du club par le consortium américain COH Sports semblait augurer une nouvelle ère. Déterminés à retrouver l’élite, les nouveaux dirigeants ne font pas de sentiments et congédient Wilder après sa défaite en finale des play-offs contre Sunderland. Désireux d’entamer un nouveau chapitre, le consortium nomme Rubén Sellés, manager soutenant la nouvelle politique sportive, basée sur la data et l’IA. Un projet en rupture totale avec l’identité populaire des Blades, provoquant l’incompréhension d’une partie des fans. Un sentiment exacerbé par un mercato catastrophique. Exit nombre de joueurs-clés, comme Vinicius Souza, Kieffer Moore ou Anel Ahmedhodzic, qui disposaient de belles valeurs marchandes. Place à de jeunes prospects peu coûteux, chinés aux quatre coins du monde. Dans sa tour d’ivoire, la direction semble déconnectée des réalités du club. Récemment, une proposition visant à afficher les paroles des chants de supporters sur les écrans de Bramall Lane, a suscité le courroux des fans. Ils dénoncent une américanisation d’United, déplorant l’invisibilité et le manque de transparence des propriétaires.

Sheffield United, Sheffield Wednesday : deux institutions en crise

Du côté de Wednesday, la mauvaise gestion de Chansiri atteint son paroxysme à l’intersaison. Les dettes s’accumulent, et les salaires de mai et juin sont partiellement versés aux joueurs et employés. Las de cette situation, l’entraîneur allemand des Owls, Danny Röhl, déjà faiseur de miracles à Hillsborough, jette l’éponge. S’ensuit une vague de départs : Josh Windass rejoint Wrexham, Djeidi Gassama est bradé aux Rangers pour deux millions de livres… Début août, Wednesday ne compte que seize joueurs dans son effectif. A cela, s’ajoute une interdiction de transfert courant jusqu’en 2027 et une grève des joueurs, exigeant le versement des salaires. Acculé, Chansiri refuse pourtant deux offres de rachat. L’une d’elles provient d’un consortium mené par Adam Shaw, homme d’affaires originaire de Sheffield, l’autre d’un cow-boy, nommé John Textor. Wednesday ne pouvait pas tomber plus bas.

Pour les pensionnaires de Bramall Lane, la crise demeure sportive. Le football offensif, proactif et moderne de Rubén Sellés rompt avec la doctrine traditionnelle. Le bilan est implacable : cinq matchs de championnat, cinq défaites, douze buts encaissés pour un but inscrit et des recrues à la ramasse. Les dirigeants sonnent la fin de la récréation et limogent Sellés dès le 14 septembre, pour aussitôt réembaucher Chris Wilder. La révolution culturelle amorcée à United plonge finalement les Blades dans la crise.

Cinq matchs, cinq défaites : Rubén Sellette (Crédit photo : Sheffield United)

Un derby au mental d’acier

Si la mise sous administration de Wednesday a hypothéqué ses dernières chances de survie en Championship, Henrik Pedersen, le nouveau manager des Owls, souhaite néanmoins se battre jusqu’à la fin de la saison. Le Danois, qui a la confiance du nouveau board, souhaite puiser dans l’identité et dans les valeurs du club pour le reconstruire : « Nous devons être un nouveau Sheffield Wednesday avec un cœur d’antan ». Pedersen peut d’ailleurs s’appuyer sur son maître à jouer et capitaine : Barry Bannan. Véritable héros populaire à Hillsborough, l’Écossais entame sa dixième saison dans le South Yorkshire et a récemment prolongé son contrat, malgré les arriérés de salaire. Une fidélité et une abnégation symbolisant la résilience du club. Car l’effectif, décimé durant la trêve estivale, a néanmoins pu être reconstruit par la venue de joueurs libres et de prêts. De plus, il y a quelques jours, les administrateurs ont validé l’arrivée Liam Cooper, pilier défensif du Leeds de Marcelo Bielsa. Un renfort inespéré à quelques jours d’un Steel City Derby historique, où une victoire des Owls poserait les premières fondations d’un renouveau.

Cependant, le retour à la maison est plus difficile pour Chris Wilder. Héritant d’un effectif qu’il n’a pas choisi et amputé de sa colonne vertébrale, l’entraîneur des Blades ne parvient pas, pour le moment, à trouver la solution. Ne pouvant pas recruter avant le mercato hivernal, le manager britannique se tourne aussi vers les agents libres. Le club enregistre alors les arrivées de Jairo Riedewald, ancien milieu de Crystal Palace, mais surtout de Patrick Bamford, qui aura la lourde tâche de redynamiser la pire attaque de Championship. Néanmoins, le chantier reste énorme pour Wilder, tant United semble avoir perdu son fighting spirit. Alors, rien de tel qu’un Steel City Derby pour retrouver la confiance et sortir le club de sa torpeur.

Plus qu’un énième derby, la bataille qui s’annonce entre les rivaux de Sheffield semble capitale pour le futur des deux projets. Deux clubs en perte de repères et désireux de renouer avec leurs racines pour se reconstruire. Rien de tel donc, qu’un duel fratricide pour permettre aux supporters de renouer avec la passion. Ce Steel City Derby sera bien plus qu’un match, il incarnera le derby de la renaissance, dans une ville ou football rime avec fierté civique.

Pierre Parage

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