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Loin de faire partie des favoris avant le début de l’Euro 2024, l’Espagne subjugua tout le monde de par son jeu dominant et vertical. Une transformation due certes au très bon travail de Luis de la Fuente, mais aussi à l’arrivée propice de deux talents : Nico Williams et Lamine Yamal. Une doublette d’ailiers ayant revigoré tout un pays.
Pas d’écouteurs. Pas de bavardages. Pas de PlayStation dans sa chambre ou de téléphones pendant les repas. Voici la discipline de fer imposée par Luciano Spalletti, à la tête d’une Squadra Azzurra peu expérimentée lors de cet Euro 2024. Une Squadra qui ne manque pas de cadres avec Federico Chiesa, Nicolo Barella ou Gigio Donnarumma, certes, mais qui manquent de trentenaires dont l’aura suinte par chacun de ses pores. A l’image de Giorgio Chiellini, si important pour la conquête du titre de 2021, sur et en dehors du terrain. Une éthique sûrement bienvenue dans ce contexte, mais qui fût fortement chamboulée par deux joueurs pleins d’avenir. Deux gamins qui, dans leur spontanéité, se retrouvent à faire des TikToks dans leurs dortoirs. Lamine Yamal et Nico Williams. A tel point qu’un Luciano Spalletti, passé tout près de la correctionnelle contre la Croatie, dût promettre de « jouer libéré » par la suite. Une hérésie pour un apôtre du jeu protagoniste.
Si les deux jeunes espagnols (nés en Espagne, attention à ne pas faire une Del Bosque) se comprennent aussi bien sur le terrain, on peut facilement trouver la cause. Les deux demeurent tout simplement inséparables. Les Tiktoks ne suffisant pas, voilà que le duo se charrie sur les réseaux sociaux, multiplient les dédicaces mutuelles en interview, et se prêtent même à imiter la célébration de Neymar, leur père spirituel, contre la Géorgie. Une telle entente entre deux phénomènes dans le sport qui pourrait faire penser aux fameux Splash Brothers, tout juste séparés, de par leur style de jeu esthétique et ultradominant. Un roman d’amitié attendrissant dans un climat européen bien sec.
Jeu, set et match pour Nico Williams
Le groupe vit bien pour sûr, mais cela suffit-il à se trouver pertinents contre tous types d’adversaires ? Oui, et pas qu’un peu. A commencer par la Croatie, immense déception de la compétition. Si les deux se font déjà remarquer par leur qualité de percussion et leurs accélérations, le duo restera discret. Quand on dit discret, il faut plutôt comprendre un amour de passe décisive du jeune Yamal pour Dani Carvajal, qui ouvrait son compteur en sélection. Son centre flottant pied gauche deviendra vite viral.
20 juin 2024, Gelsenkirchen. Une soirée à marquer d’une pierre blanche, tant elle risque de rester dans les mémoires. Espagne – Italie, deux poids lourds du football mondial. Autant dire que beaucoup se trouvent devant leur poste ce soir-là. Ce à quoi le public va assister ne sera pas un immense match de football, mais plutôt une exécution massive. Une exécution très particulière, puisque les deux équipes avaient convaincu durant leur match d’ouverture. Un match qui semblait alors très ouvert. Pourtant, au fil des minutes, le gap va s’élargir de plus en plus. Si la Nazionale démarre tambour battant, un facteur brisera cette entame : le duel Nico Williams – Giovanni di Lorenzo. Dribbles intérieurs extérieurs, duels aériens, incursions intérieur, centres précis et fautes provoquées… Le natif de Pampalona lui aura tout fait sur cette première période, bien aidé par les montées d’un Marc Cucurella en renaissance. Un désastre pour le latéral italien, qui rêvait d’un avenir radieux loin de Naples et qui vit ses faiblesses révélées au grand jour. A tel point que Luciano Spalletti, en panique, décide d’un changement en seconde période. Davide Frattesi, porteur d’eau sur ces deux premiers matchs, est remplacé par Andrea Cambiaso, milieu latéral. La modification paraît claire : multiplier les situations en 2v1 sur Nico, quitte à sacrifier entièrement son jeu de transitions et de combinaisons.
Des humiliations sur 90 minutes, on en a déjà vu. Mais des humiliations telles que ton propre entraîneur décide de saborder l’entièreté de son plan de jeu offensif pour pouvoir cadrer un seul joueur, ça court beaucoup moins les rues. Le pire ? Ça ne changera pas grand-chose, les deux grandes occasions qui suivront provenant du côté gauche. Une combinaison avec Cucurella pour Pedri ratant l’immanquable, puis une différence individuelle sur Di Lorenzo, menant au contre son camp du pauvre Riccardo Calafiori. Sans parler de sa frappe brossée sur la barre dix minutes après, qui aurait pu lui valoir un « 10 » dans l’Equipe. Sinon, Lamine Yamal ? Moins en vue forcément, mais tout de même capable d’apporter un gros impact dans sa zone, mais aussi de se créer une occasion à lui tout seul, en mystifiant quatre italiens. Voilà, voilà…
Briseurs de rêves orientaux
Leur dernier match en date, le huitième de finale contre la Géorgie, porte une autre tonalité. Celui d’une domination collective, passant par les coups de fouet du duo Yamal-Nico. Vite pris de court par l’ouverture du score adverse, les deux n’ont pas tremblé. Fixer ses coéquipiers pleine surface, faire les mêmes différences, encore et encore. Les deux ont encore prouvé leur capacité « facilitateur de jeu », avec pour preuve l’égalisation espagnole (39e). Dans la surface, face à un bloc très regroupé, orientation de trois-quarts, Nico Williams trouve une bonne passe cachée pour Rodri aux vingt mètres, qui conclura de lui-même. Leur spontanéité se mêle à une bonne compréhension du jeu, et surtout une maturité déconcertante pour leurs âges. Lamine Yamal, seize ans pour rappel, ne se trouve pas en reste, et adresse sa spéciale dans le bon tempo pour Fabian Ruiz (51e). A partir de là, les vagues se multiplient et pas une n’implique pas un passage par les ailes. Le score s’alourdira (4-1, avec un but de Nico Williams), mais il aurait pu l’être davantage, tant la suprématie des deux pépites – et au-delà, du jeu espagnol – ne faisait débat.
Jeunes et dynamiques jusqu’à la victoire
Aux Baléares, on appelle « migjorn » un vent chaud, sec et étouffant portant les mêmes caractéristiques que le sirocco. Ce vent violent pourrait bien être comparé à l’apport de Lamine Yamal et Nico Williams envers la Roja. De par leurs innombrables séries de tempêtes sur leurs ailes respectives, le duo offre quelque chose d’oublié dans le football espagnol. Un football tout-terrain. Comme précisé dans notre dernière preview, l’Espagne se démarquait par sa recherche nouvelle de verticalité et sa menace constante de déséquilibre. Elément de jeu très loin d’apparaître chez les ibères sur la dernière décennie, mais pourtant vital lors de l’époque Vicente del Bosque. Il n’y a qu’à se souvenir des Pedro, David Villa et même David Silva exilé sur un côté pour se rendre compte de la variété cachée du jeu espagnol de l’époque. Le manque de qualité et d’explosivité à ce poste dans ce secteur a coûté cher ces dernières années, tant il réduit à un jeu de possession axial et parfois très stérile. Si Alvaro Morata, Dani Olmo et surtout Pedri se trouvèrent au rendez-vous lors de l’Euro 2021, c’est bien parce que les ailes ne pouvaient apporter davantage. Si le football affiché lors de la Coupe du Monde 2022 se rapprochait d’une caricature, c’est bien parce que Luis Enrique gardait ses idéaux en tête, quitte à se montrer trop intransigeant envers Nico Williams.
Pour que ce passage de la caricature au triomphe se déroule, les joueurs sur le terrain ne suffisent pas. Il fallait aussi un homme pour effectuer ce changement, et il ne fut pas celui que l’on pensait. Luis de la Fuente fut très critiqué lors de son arrivée au pouvoir, et même avant le début de ce Championnat d’Europe. Proche de Rubiales et héritier d’une équipe enfermée dans une idéologie claire, le chantier se trouvait immense. En réalité, il a conservé de cette possession dominante (75% de possession en huitième de finale contre la Géorgie), tout en faisant entrer cette équipe dans la décennie 2020. Le tout avec des paris unanimement gagnants, pour preuve les choix de Marc Cucurella et Fabian Ruiz, devenus vite cadres indiscutables. Ayant passé neuf ans au cœur de la Rojita (Equipes d’Espagne de moins de 19 ans, 21 ans, puis Olympique aux J.O de Tokyo), le sélectionneur sait aussi parfaitement comment cadrer les jeunes loups. Même en n’ayant dirigé qu’un des deux par le passé (Nico Williams, en Espoirs), de la Fuente comprit comment s’occuper de tels talents. Leur donner de lourdes responsabilités de jeu, tout en lâchant du lest.
Peu importe où s’arrêteront les espagnols lors de ce Championnat d’Europe, le constat semble déjà entériné. L’Espagne, à l’origine dans de grands troubles sur et en dehors du terrain, réussit le tour de force de présenter une équipe dominante et terriblement esthétique. Miracle qui n’était pas arrivé depuis l’époque Del Bosque. Ce miracle passe par l’explosion simultanée de deux gamins marqués par l’intelligence et la spontanéité de leur football. A savoir maintenant si Joan Laporte peut encore activer des leviers pour attirer le sidekick de Lamine Yamal en Catalogne.