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Voilà une histoire qui participe à la beauté des qualifications à la Coupe d’Europe. Alors que le second tour vit les Macédoniens de Shkëndija réaliser l’exploit contre le FCSB, ou les Chypriotes de Pafos proches du Graal en attendant les débuts de David Luiz, la Ligue des champions s’est montrée espiègle dans son tirage au sort. Tandis que Nice a été envoyé au charbon face au Benfica, le troisième tour s’ouvrira par un Malmö – Copenhague. Un affrontement entre les deux grandes équipes de Scandinavie, pour sûr, mais qui cache une réalité plus barbare.
Si Malmö, troisième plus grande ville de Suède, ne loge pas sous la même bannière que Copenhague, capitale du Danemark, il ne suffit que de 45 minutes en voiture pour rallier les deux. Le 1er juillet 2000, la reine Marguerite II du Danemark et le roi Charles XVI Gustave de Suède se rencontrent à la frontière pour un évènement très particulier. En ce jour d’été ensoleillé, est inauguré le pont de l’Øresund (appelé Øresundsbron), édifice long de sept kilomètres permettant de rallier les deux métropoles. Plus grand pont d’Europe derrière le Vasco da Gama (Portugal), cette construction pharaonique s’accompagne du tunnel de Drogden, long de 3.500 mètres sous la Mer Baltique, ainsi que de Peberholm, île artificielle devenue réserve naturelle.
Cette alliance dano-suédoise se veut un moyen de réconcilier deux nations ayant eu leur lot de conflits durant près de trois siècles. Parmi elles, la bataille de l’Øresund, où le Danemark, accompagné de la flotte des Provinces-Unies des Pays-Bas, empêcha la Suède de régner en maître sur le commerce de la mer Baltique. Si la réconciliation se veut sincère, elle reste difficile à assumer d’un point de vue économique. Que ce soit pour la Suède, étant donné que bon nombre de locaux profitent de cette opportunité pour chercher un travail mieux payé à Copenhague. Mais surtout pour les usagers, le quotidien régional Sydsvenskan expliquant qu’une traversée du pont coûte « 750 couronnes suédoises », soit l’équivalent de 67 euros. Même Vinci ne peut pas rivaliser.
Lèse-majesté à la Royal League
Ces tentatives de rapprocher les pays scandinaves entre eux se sont aussi faites par le ballon rond. Notamment avec la création de la Royal League, en fin d’année 2004. Tournoi mi-amical, mi-compétitif, il se déroulait durant l’entièreté de la saison, réunissant les quatre meilleures équipes de Suède, Danemark et Norvège. Si cette coupe ne connaîtra que trois éditions, sa première aurait pu connaître un drame majeur dans l’histoire du football.
Dans la soirée du 14 avril 2005, pour clôturer la seconde phase de groupes de la compétition, Malmö traverse le pont de l’Øresund, direction le Parken du FCK. Alors que les Danois assurent leur place en finale (2-1), les supporters suédois ne vivront pas la même soirée. Bon nombre d’entre eux racontent avoir été agressés par la police danoise. Gratuitement. Un de ces ultras recevra un coup de matraque en pleine tête, ce qui le fera perdre connaissance. À son réveil, les forces de l’ordre continueront de s’occuper de son cas. Alors que les dirigeants soutiennent financièrement ces fans, la justice et le FCK ne prononceront pas un mot. Sauf Flemming Østergaard, dirigeant derrière la montée en force du club dans les années 2000 : « il y avait des individus qui ont frappé des policiers en civil, il n’est donc pas du tout surprenant qu’il y ait une bagarre à cause de ces agissements. » Copenhague n’aura jamais présenté d’excuses pour cette mésaventure, ce qui a le don de faire enrager les supporters de Malmö. Au point de forcer l’annulation de plusieurs matchs amicaux entre les deux équipes.
Un match pour régner sur la Scandinavie
Voilà comment est née la rivalité la plus forte du football scandinave. Un conflit qui s’intensifie à chaque joueur suédois qui opte pour le même plan de carrière que les travailleurs locaux : partir pour Copenhague. Des noms plutôt connus passeront par le Danemark, tels qu’Erik Johansson ou Roony Bardghji, récemment arrivé à Barcelone pour une bouchée de pain. Mais la palme de la trahison reviendra à Robin Olsen, avouant que le FCK est son club de cœur, aux dépends de l’équipe qui l’a formé depuis ses sept ans. Tony Ernst, ancien leader des supporters de Malmö, l’a mauvaise : « c’est un mensonge stupide qui le fait passer pour un idiot. À compter de ce moment, il est effacé de notre histoire. » Malgré tout, le portier auteur d’une grande Coupe du monde 2018 fera son retour à la maison lors du dernier mercato estival.
Malmö contre Copenhague, c’est un grand club contre un grand club. Des Danois contre des Suédois. Chacun cherche à être le meilleur représentant des pays nordiques.
Niklas Skoog, pragmatique.
Présent lors de ce soir de printemps 2005, l’attaquant suédois Niklas Skoog se prononce sur la rivalité entre les deux : « c’est un grand club contre un grand club. Des Danois contre des Suédois. Chacun cherche à être le meilleur représentant des pays nordiques. Pendant un temps, Malmö s’est battu avec Rosenborg mais son affrontement avec Copenhague existera toujours. Quoi qu’il arrive, il y aura cette volonté de les vaincre. » Et au-delà d’affrontements entre police et supporters, cette rivalité est aussi une question de suprématie. Qui est le plus grand club nordique ? Un club finaliste de Ligue des champions, ou un club qui règne en maître sur son pays depuis le début du XXIe siècle ? Bien que les Norvégiens de Glimt ont fait leur apparition dans le débat, les héros de Bodø sont encore loin de rivaliser en termes de palmarès ou de prestige.
Prestige qui pourrait s’étoffer d’une nouvelle participation en Ligue des champions pour le vainqueur, le match aller ayant été un triste et morne 0-0 sur la pelouse de Malmö. Là encore, les directions sportives reflètent les mentalités des deux villes. Lorsque les bleus ciel comptent sur leur maestro Henrik Rydström et un centre de formation fiable (Hugo Bolin, Nils Zatterström, Otto Rosengren), Copenhague a déboursé dix-huit millions d’euros dans un mercato record. Un été qui leur aura fait perdre Roony Bardghi ou leur métronome Victor Froholdt (Porto), mais qui voit débarquer le portier croate Dominik Kotarski, le titi parisien Yoram Zague mais surtout Youssoufa Moukoko. Encore muet après six apparitions, le joueur de vingt ans se trouve dans l’ombre d’Andreas Cornelius ou Jordan Larsson, fils de la légende du Celtic. Dans un moment plein d’ironie, peut-être qu’un joueur suédois donnera la victoire à Copenhague. Ou alors le scénario de la Ligue Europa 2019 se répétera, Malmö l’emportant au Parken dans la douleur sur un contre-son-camp, pour s’emparer de la première place du groupe. Comme quoi, à la guerre, dans les tribunes comme sur le terrain, tout est une question de bataille.