Sélection incontournable de la fin des années 2000 jusqu’au milieu des années 2010, l’Espagne tente doucement mais sûrement de remonter la pente après des années difficiles. Entre période de disette, renouvellement générationnel compliqué et conflits au sein même de sa Fédération, la Roja aborde cet Euro 2024 dans la peau d’un outsider, avec comme rêve secret de revenir sur le devant de la scène.
Pour comprendre la relation particulière de l’Espagne avec le Championnat d’Europe, il faut remonter à la genèse de ce dernier. En 1958, après plusieurs décennies d’études du projet, entrecoupé par un conflit mondial et des dissensions géopolitiques propre à l’Europe d’après-guerre, les premières qualifications du nouveau tournoi continental démarrent, initiant une nouvelle ère dans l’histoire du football sur le Vieux Continent.
Dirigée d’une main de fer depuis 1939 par le dictateur Francisco Franco, l’Espagne elle, fait partie des nations pionnières et profite de l’inauguration du tournoi continental pour s’y inscrire, à l’instar de seize autres nations. Conscient du caractère politique du football, Franco, qui s’implique beaucoup au sein de celui-ci, souhaite profiter de l’inauguration du Championnat d’Europe pour redorer son blason, diffuser les idéaux franquistes et promouvoir sa vision du football. Un football nommé quelques années plus tard « Furia Española » et décrit comme un football proche du peuple, basé sur « le travail, la solidarité, la cohésion et le sens du sacrifice », rien de plus, rien de moins. Pourtant, le dictateur va très vite déchanter. Après deux matchs convaincants contre la Pologne, le tirage au sort offre l’Union Soviétique à la Roja. Franco, résolument anti-communiste, interdit l’entrée des joueurs soviétiques sur le territoire espagnol et préfère déclarer forfait, malgré la pression de la jeune UEFA, qui souhaite faire du football un objet apolitique dans un Europe encore morcelée par les conflits antérieurs.
Quatre ans plus tard, en 1964, Franco, toujours autant impliqué dans le football espagnol, obtient l’organisation du carré final du Championnat d’Europe, après un long travail de lobbying de son Ministère des Sports ainsi que des différents comités sportifs espagnols favorables au dictateur. Un travail de fond qui va payer et qui va offrir une tribune formidable à Franco pour promouvoir et justifier sa Furia Española, son football national et par ricochet, sa politique dans son ensemble.
Le 21 juin 1964 sera le premier pinacle d’une longue série de l’histoire de la Roja. Face à l’Union Soviétique, sous les yeux du Caudillo et des 100,000 spectateurs du Santiago Bernabéu, l’Espagne s’impose en finale du Championnat d’Europe et empoche le premier titre de son histoire. Une victoire sportive évidemment, portée par un Luis Suárez de gala, auteur d’une compétition exceptionnelle. Mais également une victoire politique pour les nationalistes, qui voient en ce succès le triomphe des valeurs et du modèle franquiste sur le communisme soviétique.
Si ce succès aurait pu être le déclencheur de lendemains qui chantent, il n’en fut strictement rien. Après cette victoire, la Roja va connaître une longue traversée du désert et ne retrouvera les sommets européens que vingt ans plus tard, lors du Championnat d’Europe 1984. L’Espagne, qui possède une très belle génération, s’incline en finale face au pays hôte, son carré magique, un Platini au sommet de son art et la célèbre boulette de Luis Arconada. Une déception qui en appellera d’autres, mais qui va également pousser l’Espagne à revoir en profondeur son modèle de football.
Aux débuts des années 2000, l’Espagne enfin va récolter les premiers fruits de cette nouvelle politique impulsée. Après vingt années moyennes, entre non-qualifications et présence sporadique et sans grande saveur dans les différents Championnat d’Europe, 2008 va sonner comme le tournant majeur de l’histoire de la Roja. Nommé pour prendre la suite d’Iñaki Sáez, Luis Aragonés, légende de l’Atlético, va mener l’Espagne sur le toit de l’Europe après un parcours quasi-parfait et qui se conclue en apothéose au Stade Ernst-Happel de Vienne, sur un amour de ballon piqué du Niño Fernando Torres, alors au sommet de son art en club et en sélection.
Quarante-quatre années après les héros de Madrid, l’Espagne inscrit de nouveau son nom au panthéon des vainqueurs du Championnat d’Europe. Un petit soulagement forcément pour le pays, qui a longtemps dû se raccrocher à un titre gagné dans un contexte très compliqué, dans un pays où l’ombre de Franco plane encore, et ce plus de trente années après son décès.
Luis Aragonés parti, l’Espagne remet ça deux ans plus tard, en s’adjugeant le Mondial 2010 sous la houlette de Vicente del Bosque, et s’avance dans la peau de l’ultra-favori pour l’édition polono-ukrainienne de 2012. Un statut lourd à porter que la Roja va parfaitement assumer. Séduisante dans le jeu malgré un début un peu difficile, le moustachu surfe sur la vague du célèbre tiki-taka et dote la Roja d’un faux neuf durant la compétition, en la personne de Cesc Fàbregas. Malgré tout, Negredo et Torres viendront gratter une place de temps à autre dans le onze. Pas perturbée pour un sou, l’Espagne version Vicente del Bosque réalise un triplé inouï en soulevant une nouvelle fois le trophée, après une finale maîtrisée de bout en bout contre les Italiens, aboutissant sur un 4-0 sec et sans bavure. À l’apogée de son football, c’est paradoxalement à ce moment-là que commence la chute de l’une des équipes les plus marquantes de l’histoire du football.
Depuis 2014, l’Espagne n’est plus que l’ombre d’elle-même. Sortie dès le premier tour du Mondial brésilien, la Roja eut du mal à faire le deuil de sa génération dorée, et n’a cessé de se chercher d’autres prophètes, capables de venir relancer une machine désormais éteinte.
Alors, l’Espagne a longtemps tâtonné, jonglant entre la mutation d’un football qui correspond moins au développement de son fameux tiki-taka, la perte de sa colonne vertébrale historique et les différents coachs empilés ici et là par une fédération qui navigue à vue. Une fédération capitalisant seulement sur son impressionant vivier et sur un championnat en perte de vitesse depuis quelques années. Depuis le départ de Vicente del Bosque en 2016, la sélection a connu six entraîneurs différents, alors qu’elle en avait connu seulement quatre entre 2000 et 2016. Un énième symbole de l’instabilité régnant au sein du foot espagnol.
En parallèle, les relations entre la Ligue et la Fédération se sont progressivement distendues, au point de déclencher une guerre ouverte entre Javier Tebas, patron de LaLiga, et le très sulfureux Luis Rubiales, le désormais ancien président de la Fédération. Une relation cataclysmique entre les deux personnages, également nourrie par les frasques et les problèmes judiciaires du dernier homme cité, accusé d’agression sexuelle sur Jennifer Hermoso lors de la finale du Mondial 2023. Mais aussi de détournement de fonds, de corruption et d’appartenance à un groupe criminel par les médias espagnols, et notamment The Objective, média auteur de l’enquête qui fait actuellement trembler la fédération royale.
C’est dans ce contexte abscons qu’évolue Luis de la Fuente. Propulsé sélectionneur après le licenciement post-Mondial 2022 de Luis Enrique, de la Fuente (ou LdLF au pays de de Cervantes) s’attelle depuis presque deux ans maintenant à reconstruire une énième fois la Roja. Passé par quelques catégories de jeunes de la sélection, avec lesquelles il a gagné le championnat d’Europe des -19 ans en 2015 et l’Euro Espoirs en 2019, de la Fuente n’est pas qu’un choix par défaut, même si son amitié et sa proximité avec Luis Rubiales ont joué en sa faveur au moment de sa nomination à la tête de la selección absoluta.
Présent au sein de la fédération depuis 2013, Luis de la Fuente tente de surfer sur le bon travail d’intégration et de renouvellement entamé par Luis Enrique, tout en offrant une rupture avec le tiki-taka, jugé désormais comme désuet et hors du temps par une frange des suiveurs de la Roja.
Vainqueur de la Ligue des Nations 2023, l’Espagne sauce Luis de la Fuente se traduit d’abord par une volonté de faire le deuil (au moins partiel) d’un système qui a offert les plus beaux succès de la Roja, mais qui semble aujourd’hui être à bout de souffle pour cette équipe.
Pourtant, si le jeu espagnol semble avoir muté, impossible néanmoins de dire que l’Espagne de 2024 est en totale rupture avec la Roja des glorieuses années. Le mouvement et la création d’espaces, via les incessants déplacements axiaux, semblent toujours être au cœur des préoccupations offensives. Le jeu en une touche, utilisé pour déséquilibrer le bloc dans le dernier tiers est bien là également, et des joueurs comme Pedri et Rodri s’en donne à cœur-joie, grâce à leurs nombreuses courses intérieures.
La grosse nouveauté du système de De la Fuente réside probablement dans son comportement sans le ballon et à la récupération de celui-ci. Bien plus patiente auparavant, la Roja de 2024 a décidé d’introduire plus de verticalité dans son jeu pour profiter des qualités de percussion en transition des ailiers ayant émergé sur les dernières années. Après Dani Olmo et Ferran Torres, l’Espagne s’est découverte deux nouveaux prodiges en la personne de Nico Williams et surtout de Lamine Yamal, seize ans à peine et déjà indispensable dans cette sélection.
Vifs, rapides, techniquement infaillibles, les deux jeunes joueurs apportent un vent de fraîcheur et d’explosivité dans une Espagne parfois trop statique et qui se cassait les dents sur des blocs reculés. Avec Williams et Yamal, l’Espagne se dote de deux fusées capables de faire mal en contre et d’apporter tout ce qu’il manquait à la sélection de Luis Enrique en 2022 : du déséquilibre et de la prise de risque. Un manque que Luis Enrique comblait en faisant confiance aux deux joueurs, qui combleront leur manque d’expérience internationale par leur candeur footballistique.
Pour le reste, difficile de juger cette sélection, qui souffre des mêmes maux depuis de nombreuses années. Unai Simón, auteur d’une belle saison du côté de l’Athletic, devrait garder les bois ibères. Derrière, seul Le Normand semble être intouchable et les matchs amicaux ont donné quelques indices sur la construction défensive de cette sélection. Autour du natif de Pabu (Bretagne), Nacho, Marc Cucurella et le vétéran Jesús Navas devaient être les noms couchés sur la feuille de match au soir du 15 juin contre la Croatie. Ce qui s’est passé en dehors du légendaire sévillan, suppléé par Dani Carvajal. Un choix qui portera ses fruits, marquant pour la première fois en sélection pour le 3-0 espagnol. Appelé dans le groupe élargi, Pau Cubarsí ne verra finalement pas l’Allemagne et a été laissé au repos, probablement en vue des Jeux Olympiques français.
Au milieu par contre, aucun souci. Véritable force de cette sélection, le trio composé des intouchables Rodri et Pedri, ainsi que du parisien Fabián Ruiz, devrait être le trio aligné pour le premier match du tournoi. Une ligne de trois à l’image du football espagnol, alliant impact, projection, technique et vision de jeu ; forcément la rampe de lancement de toutes les offensives espagnoles. Zubimendi, Merino et la surprise Alex Baena, tous issus du championnat local, seront les remplaçants d’un mitard quasi-intouchable.
Devant, outre Nico Williams et Lamine Yamal, l’Espagne devrait de nouveau faire confiance à Álvaro Morata, faute de mieux. Problème récurrent en Espagne depuis quelques années, le poste de 9 fait débat au pays, mais le Colchonero semble partir avec une longueur d’avance du fait de son rôle de capitaine et de son expérience, de ses qualités de pivot et de point d’appui et de sa connaissance parfaite du rôle imposé par Luis de la Fuente. Néanmoins, il faudra faire face à la concurrence de Mikel Oyarzabal, auteur de quatorze buts cette saison, capable de venir apporter un peu plus de profondeur devant ; et d’Ayoze Pérez, auteur d’une belle saison avec le Betis et qui viendra apporter de la polyvalence sur le front offensif.
Alors, finalement, que doit-on penser de cette sélection ? Malgré le sang neuf, les nouvelles idées et le talent intrinsèque de cette sélection à certains postes-clés, l’Espagne, de par sa position, fait logiquement partie des outsiders, mais semble manquer cruellement d’expérience dans des secteurs forts et importants de son football.
Une inexpérience incarnée par Yamal et Williams pour ne citer qu’eux, mais également parfaitement incarnée par le sélectionneur lui-même, qui va connaître, à 62 ans, son premier gros tournoi comme entraîneur principal d’une sélection. Depuis que le natif de Haro a dévoilé sa liste d’ailleurs, les critiques fusent, parlant parfois de frilosité mais aussi d’une gestion hasardeuse de son groupe. Une liste compliquée à établir et qui fait encore sujet à débat en Espagne, où les absences de Pau Torres, Aleix García et Pau Cubarsí passent plutôt mal.
Du côté des plus expérimentés, les interrogations sont également nombreuses, en plus forcément du poste de numéro neuf évoqué précédemment. Sur le papier, sa défense n’est pas la plus rassurante, surtout chez ses latéraux. D’un côté, Jesús Navas rempilera une énième fois au poste, après une saison compliquée à Sevilla. De l’autre côté, même tarif pour Cucurella, quatre petites sélections au compteur seulement, au sortir d’une saison mi-figue mi-raisin à Chelsea.
Derrière le Championnat d’Europe se cache également un autre objectif : engranger un maximum d’expérience pour le groupe en vue de la Coupe du Monde 2026, objectif inavoué de la Fédération. Une répétition générale dans le sens du renouvellement générationnel entamé sous Luis Enrique, poursuivi convocations après convocations sous l’égide de LdLF. L’objectif étant de créer un groupe solide de 17-18 joueurs qui iront visiter les États-Unis, le Mexique et le Canada d’ici deux ans. Pour le sélectionneur, encore parfois perçu comme un intérimaire, l’objectif est clair : sortir de cette image de technicien provisoire pour enfin s’affirmer, à quelques mois des élections au sein de la fédération.
Le 15 juin, l’Espagne a donc lancé son tournoi contre la Croatie. Un match très paradoxal pour la Roja, qui a oscillé entre le très bon dans le contenu, grâce notamment à son milieu de terrain, au volume de jeu d’un Cucurella qui aura pesé offensivement et au déséquilibre de Yamal, et le passable dans la gestion de ses temps faibles. Il aura fallu un grand Unai Simón et une certaine maladresse de la sélection au damier pour préserver les cages inviolées. Une victoire 3-0 qui fait du bien, mais qui sent un peu le succès en trompe-l’oeil quand on s’attarde un peu plus sur le contenu.
Le duel tant attendu contre l’Italie, elle aussi victorieuse pour son premier match, servira donc de premier vrai test pour une Espagne qui tâtonne encore un peu, mais qui s’est rassurée lors du premier match et qui cherchera évidement à prendre sa revanche contre une Nazionale qu’elle n’a pas battue en compétition officielle depuis 2012 et la finale de l’Euro. Il est l’heure désormais de conjurer le signe indien et de se mettre dans les meilleures dispositions pour ne pas trembler à l’aube du troisième et dernier match contre l’Albanie.
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