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Coupe d’Asie 2024 : Kirghizistan – A cheval entre doutes et espoirs

Le Kirghizistan est au Qatar pour jouer la deuxième Coupe d’Asie des Nations de son Histoire. Après des qualifications rondement menées, le sort lui a livré un tirage plutôt jouable derrière le grand favori que représente l’Arabie Saoudite. Pensionnaire du groupe F, son parcours commencera le 16 janvier face à la Thaïlande, continuera le 21 face au Saoudiens avant de se terminer sur un potentiel match décisif face à Oman le 25 janvier. Entre doutes et aspirations, venez sur le chemin de la route de la soie. En route pour le football des steppes, à la découverte du Kirghizistan. Un petit poucet aux grands espoirs de cette Coupe d’Asie des Nations 2024 qui souhaiterait voir encore plus loin qu’il y a quatre ans.

Le football au pays des steppes

Le football kirghiz est méconnu, voire absent des cartes de notre sport. Il n’est d’ailleurs pas le sport roi au pays des grandes steppes, des montagnes et des lacs. Les nomades en dehors de la capitale Bichkek préférant « jouer » au Kok-borou, sorte de polo sans crosse ni balle, où des cavaliers se passent une carcasse de chèvre de mains en mains pour jeter celle-ci dans un large but. Sport rugueux et violent sur un terrain entouré de Yourtes où le folklore est une culture.

C’est l’histoire de ce petit pays de six millions d’habitants en Asie centrale. Territoire coincé entre l’Ouzbékistan et le Tadjikistan à l’ouest, le Kazakhstan au nord et son grand voisin la Chine au sud-ouest. Histoire d’un peuple nomade qui vivra sous influence soviétique avant de retrouver son indépendance en 1991. Histoire aussi de son football qui empreint de soviétisme, va se développer jusqu’à nos jours pour arriver comme il y a de cela quatre ans en phase de groupe de la Coupe d’Asie des Nations.

Nous ne parlerons pas ici des clubs du pays comme le Dordoi Bishkek, auréolé de ses treize titres. Nous ne parlerons pas non plus de son championnat qui a du mal à se faire une place dans la région. Mais nous essayerons de vous apporter un éclairage et une brève analyse sur la sélection du pays de Frunze. Une sélection qui avance à son rythme et qui pourrait encore une fois tirer son épingle du jeu dans un groupe peut-être abordable.

Une sélection à l’histoire plutôt récente

Comme évoqué, le football kirghiz est plutôt méconnu et ce pour des raisons historiques, démographiques et économiques. L’indépendance en 1991 a ouvert une nouvelle ère pour celui-ci mais il a fallu du temps pour le voir sortir la tête de l’eau. En témoigne le classement FIFA de la sélection qui a longtemps stagné au delà de la 150ème place jusqu’en 2018. Avant cela, peu ou pas de résultats importants sur la scène continentale et internationale et un football balbutiant à l’aura peu importante.

On notera un changement important arrivé en 2014 : la désignation d’Aleksandr Krestinin comme sélectionneur. C’est un véritable tournant. Actuel coach du Bunyodkor en Ouzbékistan, le russe va révolutionner la manière de travailler sur et en dehors du terrain. Il va bâtir au fil des années un groupe, une philosophie de jeu et va travailler avec la fédération à l’amélioration des infrastructures et de la détection des jeunes talents kirghizes.

« Je suis allé là-bas, jai discuté avec le coach, il voulait savoir sil y avait dautres joueurs de bons niveaux qui avaient la nationalité kirghize en Allemagne. Je lui ai dit que jen connaissais deux : Viktor Maier et Sergeij Evlujskin. Il a aussi contacté Vitalij Lux de Unterhaching et cest comme ça que laventure a commencé. Puis au fur et à mesure, les résultats ont commencé à arriver » – Edgar Bernhardt, ex-international Kirghize pour footballski.fr

L’arrivée de binationaux va apporter une partie de l’expérience qu’il manquait à la sélection, le tout sous la houlette du technicien né à Krasnodar. Le bilan est plutôt flatteur, le pays monte à la 75ème place du classement FIFA juste derrière la Chine, et se qualifie pour la première Coupe d’Asie des Nations de son Histoire en 2018. Une première sur la scène continentale, donc, et dans un groupe particulièrement relevé comprenant la Corée du Sud, la Chine et les Philippines.

Après deux défaites inaugurales faces aux gros du groupe sans démériter (défaite 2-1 face à la Chine et seulement 1-0 face à la Corée, à cause du but d’un certain Kim Min-Jae), le Kirghizistan s’impose avec brio face aux Philippines et voit la lumière des 1/8ème de finale grâce à un triplé de Vitalij Lux. En phase d’élimination directe, ils rencontrent les hôtes de la compétition, les Emirats Arabes Unis. Un match qui ira jusqu’aux prolongations, après un score de parité (2-2) dans le temps réglementaire. Là, les kirghizes fatigués (et pas aidés par l’arbitrage maison) vont se faire surprendre et s’incliner sur un penalty d’Ahmed Khalil. Désillusion, tant le 1/4 semblait à portée de mains, mais fierté de tout un pays retrouvant avec amour et liesse ses héros à l’aéroport de Bichkek.

Krestinin et son influence ont réussi à hisser le football kirghize là où il n’était jamais allé. Malgré une campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2022 plutôt décevante, son bilan reste particulièrement bon avec 45% de victoire en neuf ans à la tête de la sélection.

Stefan Tarkovic, un slovaque devant rendre les steppes fécondes. (Crédits photo : KFU)

Des qualifications, un nouveau coach et des doutes

En 2022, lors des qualifications pour cette Coupe d’Asie des Nations, le Kirghizistan fait face à Singapour, Myanmar et au Tadjikistan. Les hommes de Krestinin, toujours en poste à cette époque, se qualifient avec brio, remportant deux de leurs trois matchs. Une victoire inaugurale face à Singapour, puis une autre face à Myanmar et enfin un nul, sans but, face au voisin et rival tadjik. La suite de match amicaux s’avère plus compliquée avec notamment deux défaites face à la Russie et l’Inde. Krestinin, lui, fatigué après neuf ans de bons et loyaux services, quitte le bateau dans le premier trimestre de 2023 pour repartir en Ouzbékistan. Alors qui pour relancer la machine, embellir son héritage et préparer au mieux cette deuxième CAN de l’histoire du pays?

La fédération réfléchit alors à prendre une pointure pour essayer de passer un nouveau cap. Et c’est Stefan Tarkovic, ex-sélectionneur de la Slovaquie qui débarque en grandes pompes à Bishkek. Son expérience continentale avec la Slovaquie est précieuse, même si ses résultats avec celle-ci sont mitigés (participation à l’EURO 2020 mais résultats décevants en qualifications pour la Coupe du Monde). Il a alors la lourde tâche de succéder à la légende le précédant, de garder la base de travail établie tout en y apportant un vent de fraîcheur et de nouveauté.

Il va commencer par continuer le travail de scouting de joueurs binationaux notamment en Europe, en appelant Kimi et Kai Merk (d’origines allemandes), le premier joueur de couleur représentant le Kirghizistan Joel Kojo (d’origines ghanéenne) ou la jeune star Beknaz Almazbekov (d’origines turco-kirghize). Mais d’un point de vue tactique il tâtonne, passant du 3-5-2 au 4-4-2, du 4-1-4-1 au 4-2-3-1 sans trouver de formule miracle. Les résultats s’en ressentent et ils sont décevant en 2023, avec une large revue d’effectif et un onze titulaire difficile à dessiner.

Avec seulement trois victoires (dont Oman en qualification de la Coupe du Monde en novembre) en douze matchs, la préparation pour cette CAN est compliquée et Tarkovic doute. Mais, comme un rayon de soleil malgré la retraite de Lux, les deux derniers matchs de préparation du 5 et 9 janvier contre la Syrie et le Vietnam viennent changer un peu la donne. Un nul et une victoire qui signent une reprise de la marche en avant à quelques jours d’affronter la Thaïlande (113ème au classement FIFA), l’Arabie Saoudite (56ème) et enfin Oman (74ème). De quoi redonner un peu d’espoir et partir pour le Qatar le pied un peu plus léger. Le tout dans un groupe où derrière l’Arabie Saoudite, tout est possible tant le niveau semble homogène entre les trois autres prétendants.

Kai Merk : « un rêve immense »

Pour parler de ces matchs de poule, de la sélection et de ses objectifs, nous avons pu parler au téléphone avec un international kirghiz actuellement au Qatar et qui vient de finir sa préparation. Nous remercions Kai Merk, attaquant de 25 ans du Titus Pétange (Luxembourg), qui va jouer sa première compétition continentale avec le pays et qui a répondu à nos questions :

Comment s’est passée la préparation et que penses-tu des chances du Kirghizistan dans cette compétition?

Je vais très bien, nous avons eu quatre matchs amicaux, nous avons eu le dernier hier (interview réalisée le 10 janvier, NDLR) et nous nous préparons depuis trois semaines aux Émirats arabes unis à Dubaï et Abu Dhabi. Nous venons juste d’arriver au Qatar. Le bilan de ces amicaux est plutôt correct dernièrement avec le nul face à la Syrie et la victoire sur le dernier match face au Vietnam (2-1).

Sur les six groupes, les quatre meilleurs troisièmes passeront au tour suivant et notre objectif minimum est de passer au prochain tour. Beaucoup de choses sont possibles pour nous dans ce groupe, et j’espère que nous prendrons les points pour aller en 1/8ème.

Le groupe (Thaïlande, Arabie Saoudite et Oman) semble jouable pour aller chercher une deuxième place qu’elle est ton point de vue?

Nous sommes entre de bonnes mains, Nous pouvons même penser à la deuxième place si tout se passe bien. Et à partir de là, nous auront quelque chose de complètement différent à jouer.

Kai Merk, symbole de la diaspora kirghize. (Crédits photo : KFU)

Tu as neuf sélections, tu as marqué en qualification pour la Coupe du Monde et tu participes à cette compétition aux côtés de ton frère. Ça doit être un rêve pour toi?

Pour être honnête, je dois dire que oui. Je trouve tout cela un peu irréel surtout à quelle vitesse tout cela va depuis l’année dernière. D’être ici au Qatar, dans cet environnement, dans les meilleures conditions avec la sélection, c’est un rêve immense. Et d’en plus avoir sa famille derrière soi, avoir son frère à ses côtés c’est quelque chose de très, très spécial et qui me rend vraiment fier. Parce qu’on se rend compte de la chance qu’on a et que ça n’arrive pas si souvent dans le football.

Quelles sont les qualités que tu vois dans ce groupe pour aller loin dans la compétition et peut être plus loin que la dernière fois?

L’important c’est d’avoir tout d’abord tout le monde prêt et « fit » pour cette phase de groupes. Nous avons des qualités, celles que l’on retrouvait aussi il y a quatre ans, et nous devons jouer sur ces points forts. Mais ce qui compte aussi beaucoup, ce sont les circonstances de jeu et comment les influencer. On a perdu deux joueurs importants (Erbol Atabaev et surtout Valeriy Kichin) pendant la préparation sur blessure, mais on croit en nos capacités. Il y a de très bonnes équipes, mais comme je l’ai dit, après la phase de groupes c’est autre chose et nous avons de la qualité, nous pouvons faire bonne figure et aller le plus loin possible.

Le XI probable du Kirghizistan et ses atouts

Le flou règne sur la tactique kirghize. Il est difficile de savoir quelle équipe Tarkovic va mettre face à la Thaïlande pour ce premier match du 16 janvier. Mais au regard des derniers choix et de l’adversaire, s’il fallait esquisser un onze, il ressemblerait probablement à celui-ci:

On y retrouve des joueurs clefs comme le capitaine et défenseur central Tamirlan Kozubaev, à la carrière bien remplie et qui joue actuellement au Eastern SC à Hong Kong. Il est et sera l’atout défensif majeur de par son expérience en l’absence de Valeriy Kichin. Le poste de gardien semble être lui en dehors de tout doute avec la très probable titularisation Erzhan Tokotaev, gardien titulaire du Sanliurfaspor (deuxième division turque).

Au milieu, le sort est plus incertain, mais deux noms sortent du lot. L’ex-Messi kirghize qui avait émerveillé il y a quatre ans : Gulzhigit Alykulov ! Cet ailier, encore jeune, possède une technique hors du commun et sait faire lever les foules sur ses dribbles et ses accélérations. Même si son transfert au Kairat ne s’est pas passé comme prévu, revenu aujourd’hui dans le club qui l’a révélé en Biélorussie, le Neman Grodno, il semble avoir retrouvé sa confiance balle au pied.

La deuxième (très) jeune star de cette est un joueur de Galatasaray … U19. Beknaz Almabekov a dix-huit ans, c’est un ailier de poche lui aussi. Si pour l’instant il brille en Youth League et U19 Süper Lig, il n’a pas encore eu la chance de fouler les pelouses de la première division turque. Mais cette jeunesse pourrait faire la différence en sortie de banc. La paire des frères Merk au milieu et devant devrait être associée dans le couloir droit, comme aperçu lors des derniers amicaux. Pour le poste de buteur, difficile de se prononcer avec certitude mais l’on pourrait faire confiance à Joel Kojo.

Comme vous avez pu le constater, difficile de définir cette sélection kirghize, tant le flou règne dans l’après Krestinin. Mais sa jeunesse, son envie et les qualités de certains de ses jeunes joueurs liés à l’expérience des cadres pourrait faire monter une mayonnaise si le premier match face à la Thaïlande est remporté. Cette équipe pourrait comme il y a quatre ans se retrouver en huitièmr de finale, elle en a les moyens, et qui sait peut-être aller un tout petit peu plus loin. Comme on dit au pays de la steppe : « Si l’on te donne juste un jour à vivre, passes-en la moitié en selle. »

PilkaNozna

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