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Trônant fièrement à l’ultime place du Classement FIFA, Saint-Marin garde cette réputation de pire sélection du monde. Pourtant, leurs bons résultats contre le Liechtenstein, autre micro-état du football, peuvent leur permettre une ascension historique en Ligue des Nations. Ce qui n’a pas manqué de créer de l’engouement en France. Zoom sur ce qui se fait peut-être de pire dans le football, mais clairement ce qui se fait de mieux en bonne humeur.
Peut-être que vous l’avez remarqué, mais on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent pour cette trêve internationale. En dehors d’un retour en grâce des Comores, ou d’un France – Israël aussi polémique que soporifique, rien à signaler. Alors, on se retrouve obligé de gratter, parmi les innombrables matchs de Ligue des Nations. Une compétition qui, en dépit de son manque d’enjeux, permet de faire progresser les nations « intermédiaires » en les faisant s’affronter. Sans elle, pas de Macédoine décrochant son ticket pour l’Euro, et encore moins de conte de fées géorgien. Conte de fées que pourrait bien vivre le plus connu des Micro-Etats.
32.000 habitants, une fière 210e place au Classement FIFA (la dernière) et 201 défaites sur un total de 212 matchs : Saint-Marin demeure le porte-étendard des petites équipes. Celles qui ne se qualifieront jamais pour une grande compétition. Celles juste ici pour représenter une nation. Nation obligée de faire appel à des expatriés italiens de basses divisions, comme le vieil Andy Selva, meilleur buteur de l’histoire de la Serenissima (8 buts). Cependant, des talents locaux commencent à se profiler, à l’image de Nicko Sensoli, dix-neuf ans et déjà dans l’histoire de la sélection. Mais aussi Nicola Nanni, leader technique, risquant bien de monter en Serie B avec Torres (Sardaigne).
Fini d’être un punching-ball
Il faut dire que l’enclave commence à se lasser de cette réputation, mais aussi leurs supporters. Aussi étonnant que cela puisse paraître, même les équipes qui ne gagnent jamais ont des suiveurs fidèles jusqu’à la mort. C’est le cas de Demba, dix-neuf ans, gestionnaire du compte Twitter Saint-Marin France. Pris de passion pour ces bonshommes toujours présents, qu’il vente, qu’il neige ou qu’ils perdent. Le jeune étudiant a cependant noté des différences dans la mentalité de l’équipe : « J’ai l’impression que la nouvelle génération de joueurs par rapport avant apporte une bouffée d’air, ils ont l’air tous motivés pour mener leur pays plus haut. ».
Plus haut, certes, mais par petites étapes. A commencer par l’ère Fabrizio Constantini, modeste sélectionneur qui va arriver à installer un climat de confiance en leurs capacités. Quand on sait que le technicien quittera la sélection sans prendre la moindre victoire en vingt matchs, c’est paradoxal, et pourtant… Première bonne idée : organiser des matchs contre des sélections toutes aussi fortes. Et ou les trouve-t-on ? Loin, très loin. Ainsi, à l’automne 2022, Saint-Marin se trouvera dans des affiches inimaginables, même en jeux vidéo. Un 0-0 contre les Seychelles (201e nation au classement FIFA) puis un très honorable 1-1 contre Sainte-Lucie (forfait à la Coupe du Monde 2022) se rajouteront à leur histoire. Croyez-le ou non, mais deux matchs nuls en une année civile demeure un record pour la Sérénissime.
Autre motif de satisfaction : la campagne de qualifications à l’Euro 2024. Certes, pas un point n’a été engrangé (chose arrivée une seule fois, contre l’Estonie pour le compte de l’Euro 2016) mais leur fighting spirit sera loué. Surtout en octobre 2023, où ils réussirent à égaliser à l’heure de jeu contre un funeste Danemark, par l’intermédiaire du capitaine Alessandro Golinucci. Yussuf Poulsen brisera leurs rêves, mais qu’importe : s’en tirer avec un 2-1 contre le Danemark reste une très belle performance. Le mois de novembre aura la même saveur, puisqu’ils marqueront contre le Kazakhstan (1-3) et la Finlande (1-2). Trois matchs consécutifs en marquant un but, encore une fois quelque chose d’inédit. Pendant que leurs adversaires montraient grise mine face à leur non-participation à l’Euro, eux célébraient pour avoir trouvé les filets. Tout ce qui fait leur charme.
Une affiche au sommet du monde
Et si la Ligue des Nations faisait enfin effet sur la plus faible sélection d’Europe ? Censée donner confiance à des sélections intermédiaires, on peut affirmer que cela ne marchait pas. Associée à la crème de la crème (Malte, Liechtenstein, Gibraltar…), le bilan en trois éditions était d’aucune victoire en quatorze matchs. Encore pire, pas le moindre but ! Même Gibraltar avait réussi en 2021 à monter d’une division (avant de redescendre aussitôt).
Dans ces idées de peine perdue, démarre une nouvelle édition. Un groupe de trois « ouvert », puisque l’on y retrouve Saint-Marin aux côtés de Gibraltar, mais surtout sa Némésis : le Liechtenstein. 200e nation au classement FIFA, le pays sans championnat possède aussi son community manager non officiel, en la personne de David, 56.000 abonnés sur Twitter. S’il ne peut pas voir tous les matchs comme il le souhaiterait, « les diffuseurs se font rare », il note aussi une progression des petits poucets. « Saint-Marin a vraiment comblé ses lacunes offensives tandis que le Liechtenstein a comblé ses lacunes défensives, les déroutes se font plus rares ! ».
Même s’ils sont dans le même bateau, le Liechtenstein possède meilleure réputation, capables de prendre un match nul ou une victoire avec un peu de folie. Leur meilleure performance restant les qualifications de la Coupe du Monde 2006, avec deux victoires et deux matchs nuls (dont un contre le Portugal). Un affrontement malgré tout d’une certaine importance, leur dernière victoire remontant à octobre 2020, contre le Luxembourg.
Saint-Marin enfin au septième ciel
Au 5 septembre 2024, soir de match à Serravalle, on ressent un léger avantage en faveur des alpins suisses. Pourtant, l’Histoire va se révéler généreuse. Une certaine hype se dégage, suite à l’engouement provoqué sur les réseaux sociaux français. Demba sera même invité par l’Equipe, afin de commenter ce match de gala. Quelque chose qui peut nous faire penser à l’Autre Finale (2003), documentaire qui organisera un amical entre le Bhoutan et Montserrat, le jour de la finale de la Coupe du Monde 2002.
Nouveau sélectionneur, Roberto Cevoli débarque avec un 4-3-3 plus ambitieux et tourné vers les incursives sur les côtés (notamment celles d’Andrea Contadini, à droite). Si le match comportera beaucoup de kick and rush, on ressent un gros impact des deux côtés. Comme si les deux équipes voulaient (et surtout, pouvaient) remporter les trois points. Ce qui va arriver lorsque, sur un ballon anodin, l’expérimenté gardien Benjamin Büchel va mal communiquer avec son défenseur central, ce qui va profiter à Nicko Sensoli, n’ayant plus qu’à pousser le cuir dans la cage. Saint-Marin 1, Liechtenstein 0. Malgré une lutte acharnée pour changer les choses, le score en restera là. Saint-Marin vient de décrocher la deuxième victoire de son histoire. La deuxième contre le Liechtenstein. La deuxième en vingt ans.
Enfin des enjeux en Ligue des Nations !
David, forcément cible de railleries dans cet affrontement fratricide, l’a encore un peu en travers : « Triste du résultat, d’autant plus qu’il m’a semblé un peu sévère pour nous. On se voit annuler un but et Saint-Marin marque alors que selon moi il y avait faute sur le gardien. C’est cruel mais c’est comme ça. ». Mais l’histoire ne se finit pas là pour autant. Il y a une compétition à continuer, avec des matchs contre Gibraltar.
Avec un bilan plutôt correct pour les deux. Anoblis d’une victoire contre Hong Kong en octobre dernier, le Liechtenstein fera deux matchs nuls contre le Rocher (2-2, 0-0). Saint-Marin retombe dans ses travers avec une défaite au Victoria Stadium… 1-0. On a connu pire. Mais ce qui change tout, c’est leur dernier match à domicile, où la Sérénissime arracha le nul à la 91e minute, sur un penalty de Nicola Nanni. Marquer son premier but au bout de quarante sélections, ça doit faire du bien pour un attaquant.
La situation est telle avant le match retour : Gibraltar, ayant joué tous ses matchs, fait un total de six points, Saint-Marin à quatre points, le Liechtenstein à deux points. Au Rheinpark Stadion de Vaduz, les enjeux changent de dimension : on ne joue plus pour une victoire historique, on joue pour une promotion. Et, en cas de gros alignement des planètes, pour une place en barrages de Coupe du Monde. En d’autres termes, l’une des deux équipes pourrait bien voir son monde changer du tout au tout, tandis que l’un des deux supporters invétérés n’aura que ses yeux pour pleurer. Mais le tout, dans une bonne humeur générale. Car en supportant ces deux équipes, on finit par se faire à ce vieil adage : « ça n’est que du foot ».