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Dans un mélange d’allégresse et d’une petite amertume, les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont tiré leur révérence dimanche 11 août. Un évènement sportif très particulier, ayant rayonné de mille lumières et ravisé quelque peu la réputation de la France à l’étranger. Chose presque surnaturelle, tant le contexte précédant risquait plutôt d’allumer une poudrière qu’une vasque. Quinze jours vivifiants qui devraient être pris comme modèle par la suite.
Trois coups de bâton. Zaho de Sagazan reprenant Edith Piaf. Léon Marchand, phénomène planétaire de cette quinzaine, éteint lui-même la vasque, réceptacle d’une flamme universelle. Accompagné du groupe Phoenix et de la divine Angèle, Kavinsky revisite son cultissime « Nightcall » (ce qui fera bondir son nombre d’écoutes sur les plateformes). Tom Cruise effectue une cascade dont lui seul peut avoir le secret. Pour qu’au bout de quatre heures, un feu d’artifice démentiel sous fond de « My Way » repris par Yseult, vienne clore cette cérémonie. Si cette cérémonie prit son lot de critiques, en raison d’un rythme trop haché, on ne peut lui retirer son côté solennel. Mais surtout, on ne peut y retirer ce goût amer, ce sentiment de tristesse. Oui, Paris 2024 vient de tirer sa révérence.
Cette extase devant un tel évènement sportif peut laisser perplexe. Comment une telle attache entre un peuple et des Jeux Olympiques décriés depuis des années, entre des prix exorbitants, un bilan humain délétère et un contexte politique fumeux, a-t-elle pu se créer ? Quelques jours avant le coup de feu, Emmanuel Macron s’en tenait au principe de « trêve olympique » demandée sur les plateaux de télévision. Mais cela eut-il réellement un impact sur l’ambiance de fête générale ? Bien évidemment que non. Tout comme la polémique soulevée par Tony Parker, inégalable pour nous garnir de déclarations hors-sol sur ces quinze jours. Faut-il vraiment remercier Emmanuel Macron et son gouvernement pour le déroulement exceptionnel de ces Jeux ? Pas tellement.
Johnny, taekwondo et natation : cocktail détonant
Si ces Jeux nous ont offert à nous, spectateurs, une volupté que l’on n’imaginait jamais retrouver, on peut trouver la raison dans l’absence de ces prestataires de service. A une époque remplie de polémiques stériles et toujours plus nocives pour nos capacités de réflexion, un organisme put se retrouver avec lui-même : le peuple de France. Autour d’une passion devenue commune et grandissante au fil des journées. Les chiffres le démontrent : 24,43 millions de téléspectateurs devant la Cérémonie d’ouverture (26 juillet), record absolu d’audience pour la télévision française. 36,1% de part de marché de moyenne pour France Télévisions sur la durée de l’évènement. Des pointes à quatorze, quinze millions pour les victoires olympiques de Léon Marchand et Teddy Riner. Pour faire court, les français ont pu communier et vibrer devant leurs nouveaux héros, sans avoir affaire à quelconque contrariété ni mesure déshumanisante.
Bien sûr, au premier abord, on pourrait imaginer que cet éloge relèverait d’un naïf, tombé dans le piège du « sportswashing », procédé par laquelle une entité améliore sa réputation de par un évènement sportif. En exemples, les Jeux Olympiques de 1936 en Allemagne Nazie, les Jeux du Commonwealth ou encore les deux dernières Coupes du Monde de football en Russie et au Qatar. Si l’intention s’en rapprochait pour sûr, la réalité s’écrit différemment. Quand Lionel Messi fut forcé de porter le bisht, manteau traditionnel du monde arabe, le « Que je t’aime » de Johnny Hallyday résonnait dans les enceintes après une victoire française. Quand Vladimir Poutine et Mohamed Bin Salmane discutaient gaiement lors du match d’ouverture de la Coupe du Monde 2018 dans une relative indifférence, nombreux pestaient devant la tendance d’Emmanuel Macron à prendre les lumières de la victoire de Teddy Riner.
De ces moments de gloire, de ces performances titanesques, ont découlé une union fraternelle. Qu’importe le milieu social, la couleur de peau ou l’opinion politique, si décisive de nos jours ; une écrasante majorité des français se retrouvaient devant le téléviseur ou dans les tribunes, à se parler, se rencontrer, nouer des liens grâce au sport. Une frénésie si intense, qu’on pourrait même la comparer à celle de France 98 par moments. Même si centralisée autour de la capitale et du Club France, fan-zone géante au cœur de la Villette, cette folie demeure nationale. Un été que le pays ne pourra oublier, et sur lequel il faut absolument capitaliser par la suite. Le poète latin Juvénal, auteur de la formule « Panem et circenses » (du pain et des jeux) s’arracherait les cheveux devant une telle idée, mais ces Jeux doivent marquer un nouveau départ. Le départ d’une nouvelle relation durable et tolérante entre concitoyens, où le ciment se constituerait de passions communes telles que le sport français. Tout ceci fait certes discours creux de présidentielles, mais il faudrait plutôt prendre ces mots comme un cri du cœur. Un cri d’en bas.
Pourtant, cette dynamique positive proscrit formellement de redevenir naïfs, de se cacher les yeux devant toutes formes d’injustices. On ne peut non plus faire comme si les Jeux Olympiques de Paris 2024 furent un arc-en-ciel plein de paillettes. Comment oublier le traitement des étudiants parisiens et des travailleurs, abandonnées à leur sort, certains morts dans une monstrueuse invisibilité ? Impossible non plus, de passer à côté des polémiques abjectes sur Imene Khelif (sans oublier la taïwanaise Lin Yu-Ting !), qui reçut beaucoup plus de soutiens qu’à l’accoutumée. Comme si cette commémoration sportive put avoir la faculté de redonner humanité et sens logique à nombre d’entre nous.
Peut-être que ces moments de bonté ne seront qu’une ombre passagère dans un monde et un univers du sport de plus en plus déprimant, tourné vers le déni du public. Mais il serait encore plus déprimant de ne rien essayer pour corriger le tir, à commencer par de futurs articles sur Douzième Homme, au sujet de Paris 2024. Bien qu’on peut considérer comme une grande délusion de se servir du sport pour changer le monde, qui ne tente rien à rien. Au fond, les plus beaux amours ne sont-ils pas ceux qui se forment l’été ?