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À l’aube du neuvième championnat d’Europe de son histoire, la Belgique 2.0 de Domenic Tedesco arrive sur la pointe des pieds. Le tout bien à l’écart des projecteurs braqués sur les mastodontes européens comme la France, l’Angleterre ou l’Allemagne. Un statut d’outsider qui convient probablement mieux à ce petit pays de 11 millions d’habitants, souhaitant néanmoins montrer à l’Europe que, malgré la fin de la génération dite ‘dorée’, les Diables Rouges veulent continuer d’exister sur la carte footballistique européenne et mondiale.
Auréolés d’un statut de tête de série lors du tirage au sort, les Belges ont hérité d’un tirage plus que clément et auront pour objectif de poursuivre leur série d’invincibilité sous Tedesco (dix victoires, quatre nuls). Pensionnaires du groupe E, les Diables Rouges débuteront leur Euro le 17 juin à Francfort contre la Slovaquie, avant de défier la Roumanie (Cologne, 22 juin) et l’Ukraine (Stuttgart, 26 juin). Avec une sélection alliant jeunesse et expérience qui veut s’offrir le droit de rêver.
Un sport national encore en recherche de ses lettres de noblesse
Si l’on omet une victoire aux Jeux Olympiques de 1920, l’équipe nationale belge ne s’est jamais parée d’or. Sport national, le football n’a jamais offert aux Belges les succès qu’ont pu leur offrir le cyclisme, le tennis ou le hockey sur gazon. Cet été, la Belgique disputera son huitième Euro, avec comme meilleur résultat une finale perdue en 1980. Longtemps habitué à participer au tournoi continentale, sans rarement y briller. Les Diables Rouges connaissent une période noire au début des années 2000, végétant au-delà de la 50e place du classement FIFA et rate trois Euros consécutifs. (2004 – 2008 – 2012), après l’édition de 2000. Cette compétition, co-organisée avec les Pays-Bas, s’était elle aussi soldée par un échec (élimination en phase de groupes).
C’est sous la houlette de Marc Wilmots que la Belgique retrouvera la compétition, en 2016, après une Coupe du Monde 2014 qui avait laissé entrevoir au monde le potentiel de cette jeune équipe belge. Éliminée en quarts de finale par le finaliste argentin, la Belgique sort du tournoi la tête haute, avec un goût de trop peu. Mais deux ans plus tard, la Belgique déçoit à l’Euro 2016 en s’inclinant contre les Pays de Galles 3-1 – toujours en quarts de finale de la compétition. Wilmots, pas aidé par les blessures dans son secteur défensif pendant le tournoi, ne résiste pas à cet échec et est remplacé quelques semaines plus tard par Roberto Martínez qui doit permettre à ce groupe de passer un palier, notamment sur le plan tactique.
Très rapidement, Martínez capitalise sur l’abondance des biens au niveau des défenseurs centraux (Kompany, Vermaelen, Alderweireld, Vertonghen) et le manque de solutions sur les côtés pour passer dans un système à trois derrière. Système résolument porté vers l’offensive. Il s’appuie également sur ses stars (Lukaku, Hazard, De Bruyne, Carrasco, Mertens) pour créer une véritable machine à buts (43 buts en dix matchs lors des qualifications pour la Coupe du monde 2018). La génération dorée vit son troisième tournoi, les stars de l’équipe sont à leur âge d’or, tout semble s’aligner pour que la Belgique puisse s’ériger en tant que favorite du Mondial russe. Avec seize buts marqués en sept matchs et une troisième place, cette équipe belge aura fait vibrer tout un peuple et atteint son apogée lors de cette épopée russe. Et même si elle n’aura eu de dorée que le nom, cette génération belge aura eu le mérite de réaliser le meilleur résultat de l’histoire du plat pays en Coupe du Monde. Une génération bronzée. Car l’Euro 2020 symbolise déjà le déclin de cette génération. La défense vieillit, De Bruyne n’est pas à 100 % et Eden Hazard a perdu de sa superbe. Après une victoire aux forceps contre le Portugal en huitièmes, c’est l’Italie de Mancini qui mettra fin aux espoirs belges (défaite 2-1, encore en quarts de finale).
Exit Roberto Martínez, Tedesco en fer de lance du passage de témoin avec la nouvelle génération
1er décembre 2022 – Stade Ahmad-ben-Ali, Qatar. La Belgique est incapable de faire mieux qu’un match nul (ndlr : 0-0) contre la Croatie, et sort la tête basse de cette Coupe du Monde qatarie. Roberto Martínez est remercié, Toby Alderweireld, Eden Hazard, Axel Witsel rejoignent Kompany, Fellaini et Dembélé dans leurs retraites internationales, et Domenico Tedesco – 38 ans – est nommé sélectionneur.
Le jeune coach italo-allemand a pour mission d’assurer la transition avec la nouvelle génération, sur papier moins talentueuse, mais au moins aussi affamée que leurs aînés. Pour les guider, Kevin De Bruyne est nommé capitaine, Lukaku et Courtois vice-capitaines dans ce qui doit former la colonne vertébrale des Diables Rouges. Adossés à ces quelques ultimes certitudes, les néo-diables ont surpris par leur capacité rapide à reprendre le flambeau, évitant ainsi le gouffre connu dans les années 2000. Par instants, ils ont charmé, insufflant l’espoir que l’ère dorée que les Belges ont connu sous les mandats successifs de Wilmots et Martínez. Une campagne qualificative rondement menée (six victoires, deux nuls) avec 22 buts marqués et seulement quatre encaissés dans un groupe composé notamment de l’Autriche ou de la Suède. Loin des standards offensifs des dernières campagnes, mais à l’image de l’équipe que veut construire Tedesco : exit le football léché, place à un jeu rapide et de transition.
Une Belgique en pleine mouvance
Pour cela, Tedesco a mis en place un 4-3-3 un peu ‘hybride’ pour mettre en exergue le vivier belge d’ailiers de percussion. Avec au centre de son système : Kevin De Bruyne. Le néo-capitaine occupe une position assez libre, se déplaçant entre les lignes pour dynamiser l’attaque et exploiter sa capacité à délivrer des passes décisives avec son pied droit. Il n’est pas rare de voir un ailier, tel que Bakayoko ou Lukebakio sur le côté droit, ou Doku sur le côté gauche, élargir le jeu pour offrir à De Bruyne l’opportunité de s’insérer dans les demi-espaces, augmentant ainsi son influence sur le jeu. Lorsque Tedesco fait le choix de ne pas titulariser de concert 2 ailier de percussions, Trossard ou Carrasco ont tendance à se recentrer, jouant autour de Lukaku et laissant l’aile à un défenseur latéral plus porté sur l’attaque.
C’est d’ailleurs ce que Tedesco mit en place lors de son dernier match de préparation contre le Luxembourg (3-0). Trossard, aligné à droite, jouait assez central, alternait entre une position très proche de Lukaku, et symétrique à De Bruyne, cherchant les demi-espaces à droite. Castagne jouant très haut, à la même hauteur que Doku sur le côté opposé.
Mais les clés du jeu restent pour De Bruyne, dans un schéma un peu asymétrique tendant vers la gauche. Trossard a alors pour rôle de venir soutenir Lukaku dans le rectangle lorsque le duo mancunien Doku-De Bruyne prennent possession du ballon.
Pour permettre à Trossard de rentrer dans l’axe, la Belgique a même tendance à relancer avec trois joueurs à l’arrière, dans un système ressemblant presque à un 3-2-4-1. Mangala-Onana se positionnant devant la défense, Doku-Castagne écartant sur les flancs et Trossard – De Bruyne jouant au centre derrière Romelu Lukaku.
Si la partition semble sonner juste sur papier, Leandro Trossard cherche encore son meilleur niveau à ce poste là et Les transitions défensives belges seront à observer, car ce système asymétrique peut offrir des belles possibilités de contre aux adversaires. Le manque de vitesse pourrait s’avérer fatal aux Diables rouges lors de reconversion offensives bien exploitées. Il faut aussi s’attendre à ce que ce système évolue au fil du tournoi, et l’on pourrait attendre une Belgique beaucoup plus prudent et conservatrice lorsque l’opposition augmentera. Car, tous les observateurs s’accordent à le dire : c’est en contre que la Belgique a un coup à jouer cet été.
Witsel de retour, Courtois non retenu : symbole d’une sélection coupée en deux
Tedesco a sélectionné 25 hommes pour cet Euro allemand. Ce qui frappe directement, c’est l’absence de Thibaut Courtois, un des meilleurs gardiens du monde et encore excellent en finale de Ligue des Champions après une saison éloigné des terrains. El Pulpo, légende en devenir au Real Madrid, souffre de ce qu’il considère être un manque de considération généralisé à son égard en Belgique. Symbole de ce sentiment, le capitanat offert à Kevin De Bruyne, et en cas d’absence de celui-ci, à Lukaku ou Courtois. Le 17 juin 2023, la Belgique affronte l’Autriche, sans De Bruyne blessé. Le brassard de capitaine échoit à Romelu Lukaku, ce qui ne plaît pas à Thibaut Courtois qui quitte le groupe après la rencontre et ne participe pas au match suivant contre l’Estonie trois jours plus tard. Le lendemain en conférence de presse, le sélectionneur national n’épargne pas son gardien, le divorce semble acté. Derrière Courtois, Matz Sels (Nottingham) et Koen Casteels (Wolfsburg) se disputeront donc le trône de numéro 1. Si le second partait avec une longueur d’avance, ses absences sur blessures lors des derniers rendez-vous et les bonnes prestations de l’ancien rempart de Strasbourg, notamment contre les Anglais en mars dernier, laissent planer le doute sur qui sera entre les perches le 17 juin à Francfort pour l’entrée en lice des Diables Rouges dans cet EURO.
Un gardien qui aura certainement fort à faire dans une équipe où la dissonance entre une ligne offensive pleine de promesses et une ligne défensive plus que fébrile, est frappante. Crainte partagée par le sélectionneur qui s’est rendu à Madrid pour rencontrer Axel Witsel, auteur d’une excellente saison en Liga au centre d’une défense à trois, pour une dernière danse sous le maillot noir-jaune-rouge. Car depuis sa prise de fonction, Tedesco n’aura pas vraiment su trouver la bonne formule derrière. Et les blessures de ces dernières semaines ajoutent encore de nombreux doutes dans la tête du sélectionneur. Jan Vertonghen, Arthur Theate et Thomas Meunier ne seront certainement pas fit pour l’ouverture du tournoi. Dans ce jeu de chaise musicales, Maxim De Cuyper, le jeune brugeois qui vit sa première sélection, risque bien d’être propulsé titulaire à gauche jusqu’au retour du Rennais. Son penchant à droite Timothy Castagne ne souffrait déjà d’aucun débat, la blessure de Meunier à 1 semaine de l’Euro et le choix de Tedesco de ne rappeler personne pour le remplacer confirme d’autant plus sa position.
Le duo axial est plus ouvert. Une charnière Vertonghen- Wout Faes (26 ans, Leicester), alignée à sept reprises sous Tedesco, semblait partir avec les faveurs du pronostique. Mais le vétéran d’Anderlecht ne sera pas remis pour le début du tournoi, et si Zeno Debast a plutôt bien presté sur la gauche de la défense, il est difficile d’imaginer le jeune anderlechtois pousser Witsel sur le banc. Se pose également la question de la propension de Witsel à évoluer dans une défense à quatre, lui qui a joué toute sa carrière comme milieu défensif et qui évolue aujourd’hui dans un système à trois arrières sous les ordres de Diego Simeone. Ses appartitions en amicale contre le Luxembourg (3-0) et le Monténégro (2-0) permettent difficilement de tirer des conclusions tant l’opposition offensive fut limitée lors de ces matchs de préparation.
Des premières lignes d’expérience
Un cran plus haut, la Belgique semble avoir plus de certitudes. Amadou Onana (22 ans, Everton) et Kevin De Bruyne sont partants certains dans le 4-3-3 de Tedesco. Absent depuis plus d’un an en sélection à cause de multiples blessures, le citizen revient au meilleur moment et à 100 % pour le tournoi continental. Un bon tournoi de la Belgique passera inévitablement par un grand Kevin De Bruyne, qui, brassard au bras, doit passer encore un palier en sélection. Pour les accompagner, Orel Mangala (25 ans, Lyon) semble partir avec une longueur d’avance sur Youri Tielemans, même si sa deuxième partie de saison compliquée du côté du Rhône pourrait profiter au joueur d’Aston Villa. Derrière, les jeunes Aster Vranckx (21 ans, Wolfsburg) et Arthur Vermeeren (19 ans, Atletico de Madrid) auront du mal à grappiller beaucoup de temps de jeu.
C’est sur sa ligne d’attaque que la Belgique possède le plus de profondeur. Très difficile d’établir une hiérarchie sur les flancs, où Jérémy Doku, Johan Bakayoko (21 ans, PSV), Dodi Lukebakio (26 ans, Séville), Yannick Ferreira Carrasco (Al-Shabab) et Leandro Trossard se sont partagés le temps de jeu depuis la prise de fonctions de Tedesco. Sans oublier Charles de Ketelaere, récent vainqueur de l’Europa League avec l’Atalanta. Beaucoup de solutions et de possibilités que Tedesco risque d’utiliser afin d’adapter les profils en fonction de l’adversaire.
En pointe, Romelu Lukaku, auteur d’une saison en dents de scie du côté de l’AS Roma, reste indiscuté et indiscutable en sélection. Meilleur buteur de l’histoire de la Belgique (83 buts), il doit être le leader offensif de cette équipe. Son substitut naturel, Lois Openda, a peu de chances de revendiquer autre chose qu’un rôle de joker de luxe, malgré son excellente saison à Leipzig (34 matchs, 24 buts, 7 passes décisives).
Le joueur à suivre: Jeremy Doku, un nouveau statut
Déjà présent lors de l’EURO 2020 et la Coupe du Monde au Qatar, Jeremy Doku va vivre à 22 ans son troisième tournoi international. Son match contre l’Italie en quarts de finale du dernier Euro avait déjà montré au monde la dynamite qu’il avait dans les jambes. Mais il avait très peu officié lors de la dernière Coupe du Monde. Pas plus mal, vu l’échec. Aujourd’hui, fort de sa première saison aboutie en Premier League, il arrive avec un tout autre statut et a pour objectif de marquer cet EURO de son emprunte. Lui qui a souvent été embêté par les blessures, il attaque cette compétition en plein possession de ses moyens.
Bien entouré par son « grand frère » Romelu Lukaku, et son coéquipier en club, Kevin De Bruyne, tous les ingrédients semblent être réuni pour voir un grand Jeremy Doku à l’Euro, où il compte bien épater toute l’Europe avec sa vista, ses dribbles et sa vitesse. Et la Belgique en aura bien besoin pour briller sous la scène continentale.
Qu’attendre de la Belgique à l’EURO ?
La Belgique a composé un groupe très hétérogène, avec autant de certitudes devant que d’incertitudes derrière. Or nous l’avons vu ces dernières années (Espagne, Portugal, France, Argentine), un bon résultat dans ce genre de compétitions passe avant tout par une grosse solidité défensive. Difficile alors d’imaginer la Belgique aller au bout, mais ce n’est probablement pas l’objectif de la fédération belge. Tedesco a reçu les clefs de la maison, et resigné jusqu’en 2026. Le tout afin de préparer la nouvelle génération pour la Coupe du Monde en Amérique du Nord. Les sélections de joueurs comme Vermeeren, De Cuyper ou Vranckx s’inscrivent également dans cette optique.
Toutefois, la Belgique fut plutôt gâtée au tirage et fait figure d’éventail dans ce groupe E, où la Slovaquie et la Roumanie possèdent respectivement les 23e et 24e valeurs marchandes les plus basses sur Transfermarkt. L’Ukraine, que les belges affronteront lors de la dernière journée, sera un plus grand défi. Mais tout porte à croire que la Belgique porte les qualités pour sortir en tête de son groupe. Si c’était le cas, elle affronterait un 3e de groupe qui offrirait de belles perspectives en vue d’un quart de finale où un match contre la France est loin d’être inenvisageable. Ce quart semble être un objectif atteignable pour cette équipe mais également le plafond de verre pour cette équipe dans cette édition.